La Tribune : édition du 12 avril 2012

Pascal Canfin, eurodéputé EELV, explique comment le nouveau contrat à terme, prochainement proposé par Eurex, risque d’accroître la spéculation sur la dette française.


Pour Pascal Canfin, eurodéputé EELV, le nouveau contrat à terme prochainement proposé par Eurex, risque d’accroître la spéculation sur la dette française.

A partir du 16 avril, il sera plus facile de spéculer sur la dette française. Non, Goldman Sachs ne vient pas d’inventer un nouveau produit financier, mais il s’agit d’une décision prise directement par l’agence France trésor (AFT), un service de Bercy en charge de placer la dette française. L’AFT a en effet autorisé Eurex – une bourse allemande spécialisée dans les produits dérivés – à commercialiser un produit « future » sur la dette française. Autrement dit, l’Etat français donne son feu vert pour acheter ou vendre à terme de la dette française, ce qui permet de se couvrir contre le risque lié à la détention d’obligations françaises mais aussi, et c’est là le problème, de spéculer sur l’évolution des taux d’intérêt français.

Ce type de contrats existe déjà mais ils sont aujourd’hui échangés en gré à gré. Le fait de les passer sur un marché transparent apporte un avantage. Néanmoins, ce bénéfice doit être mis en balance avec les inconvénients du développement de ce type de produits dérivés sur la dette française. En effet, ce nouveau produit permettra aux investisseurs de spéculer beaucoup plus facilement et à moindre coût sur l’évolution des taux d’intérêts des obligations émises par l’Etat français. Et ni la législation française, ni la législation européenne n’offrent de réels garde-fous. Ces contrats peuvent être aujourd’hui utilisés pour prendre des positions purement spéculatives… par exemple après le 6 mai prochain. Il aurait été tout à fait possible à l’Agence France Trésor – qui a autorisé Eurex à commercialiser ce nouveau produit – d’y mettre des conditions. Par exemple, le fait d’obliger l’une des deux parties de la transaction à détenir effectivement de la dette française et donc, de se trouver dans une position de couverture d’un risque et non de spéculation.

De plus, ceux qui assurent la promotion de ce type de produit, Eurex mais aussi l’Agence France Trésor font miroiter davantage de liquidité sur la dette française grâce à ces produits dérivés. Or, offrir plus de liquidité, c’est à dire la capacité d’acheter ou de vendre à tout instant, n’a pas que des avantages. Par temps calme, elle peut effectivement contribuer à diminuer le taux d’intérêt. Mais par gros temps, une telle liquidité entraine au contraire encore plus de volatilité et d’instabilité. Une situation que l’on ne peut exclure sur la dette française… D’ailleurs si la liquidité permanente devait conduire à une plus grande stabilité, on aurait déjà pu le mesurer depuis des années. La réalité est qu »il n’y a jamais eu autant de liquidité sur les marchés financiers… et jamais eu autant de crises financières rapprochées dans le temps.

La décision, prise par l’Agence France Trésor, semble encore une fois avoir échappé au politique pour relever de la sphère technique où tous les intervenants, acteurs privés et publics, partagent le même corpus de valeurs et le même dogme de la liquidité permanente. Il est vraiment plus que temps que le politique reprenne la main sur la finance…