Exposé des motifs

Dans la foulée de la « guerre aux drogues » déclenchée par le président  Nixon,   le 31 décembre 1970 le président Pompidou promulguait la loi considérant tout individu  » usant de façon illicite des substances ou plantes classifiées comme stupéfiants » comme un délinquant et un malade. Visant la personne plus que le produit, cette loi  n’a cessé d’être complétée et renforcée, toujours dans la même perspective: celle de la pénalisation et médicalisation de l’usager , au besoin, par le biais de l’injonction thérapeutique (1).

Pendant quarante ans cette approche prohibitionniste a conforté les attitudes discriminatoires entre usagers de produits illicites et usagers de produits licites (alcool, tabac, médicaments psychotropes). Dans le même temps, n’a pas été mise en place une politique globale de prévention des toxicomanies et dépendances. En France, depuis 1970,  le nombre de consommateurs de cannabis , ne serait ce qu’à titre expérimental, a été multiplié par plus de 100 : passant de quelques centaines de milliers à plus de 13 millions aujourd’hui dont 1.5 millions de réguliers et dont le tiers le sont quotidiennement. S’agissant plus particulièrement des mineurs , que les législations successives étaient censées protéger; en 2005, 49 % d’entre eux déclaraient en avoir déjà pris au cours de leur vie, 28 % au cours des trente derniers jours, 11 % de façon régulière (au moins dix fois dans le mois) et 5 % quotidiennement, alors qu’à la fin des années 60 pratiquement aucun jeune français de 17 ans n’avait accès au cannabis (2).

Pour prendre toute la mesure de l’irrationalité de la discrimination entre drogues légales et illégales, il convient de rappeler que si le cannabis est un psychotrope loin d’être anodin notamment pour les plus jeunes, depuis 1970, le nombre cumulé de décès directement attribuables à l’usage de l’alcool et du tabac (cirrhose et psychose alcoolique, cancer du poumon, cancer des voies aérodigestives supérieures) et contre lesquels la prévention est notoirement insignifiante, est similaire à celui des victimes civiles et militaires des deux guerres mondiales soit plus de 2.2 millions !

Un des paradoxes des lois prohibitionnistes est que moins  elles parviennent  à enrayer la progression de la demande , plus elles sont défendues par ceux et celles  qui ont été convaincus qu’elles  protégeraient  les populations les plus vulnérables. Certains de leurs partisans confondant les effets répressifs -hausse des interpellations- avec leur efficacité sanitaire -réduction de l’offre, refusent toujours d’admettre que le niveau de consommation et d’expérimentation le plus élevé fut atteint au cours de la période 1995-2008, qui vit le nombre d’interpellations pour usage de cannabis, multiplié par 4!  Si les non exposés peuvent se sentir confortés par l’offre croissante de répression, les plus exposés et plus particulièrement les mineurs, eux, par contre, subissent une double peine. Comme l’ont souligné les résultats de  l’enquête Polis-Autorité menée dans les agglomérations lyonnaise et  grenobloise, les adolescents de 13 à 17 ans,  se retrouvent confrontés à une offre toujours aussi envahissante, dont la violence du contrôle ne cesse de croître, et à la multiplication de contrôles d’identité qui se déroulent dans un climat chaque fois plus angoissant. Résultat des courses : la jeunesse  perd à la fois confiance dans un gouvernement dont les lois ne peuvent la protéger efficacement et se méfie d’une police dont les agissements sont perçus d’autant plus injustes qu’elle ne parvient pas à s’attaquer aux réseaux mafieux qui prospèrent sous leurs yeux (3).

Alors que l’application sans nuance de mesures répressives mine la confiance dans l’Etat de droit,  le bilan de la guerre sociale et économique qu’elle suscite se révèle dramatique et meurtrier. Depuis 1970, plus de 1800 décès par morts violentes ont été liés à des affrontements entre bandes qui rivalisent pour en  contrôler le trafic . Source de revenus alimentant une économie souterraine dont les ravages se sont progressivement étendus des grandes agglomérations, vers leurs périphéries et touchent maintenant le coeur des territoires, ce trafic est devenu incontrôlable. Pour autant depuis 1970,  plus de  4 millions de personnes (120 000 en 2011)  ont été interpellées pour un motif lié à un usage de cannabis, plus de 150 000 d’entre elles ont été incarcérées ( 7000  en 2011). Près de 15 milliards d’euros ont été  dépensés en frais de répression, de justice et d’incarcération et une part de ces dépenses aurait largement pu être déployés au service d’une véritable politique de prévention des drogues légales ou illégales.(4)

Le cannabis n’est pas un produit anodin. Il contient des substances psychotropes qui peuvent être dangereuses pour la santé, notamment pour les plus jeunes, dont le cerveau est encore en formation. En 2010, 38000 consommateurs de cannabis ont été accueillis dans les structures spécialisées en addictologie ; en 2011, les statistiques hospitalières comptabilisaient 1082 séjours avec un diagnostic principal de troubles mentaux et du comportement liés à l’utilisation de dérivés du cannabis. De surcroît, on sait que conduire sous l’influence du cannabis multiplie par 1,8 le risque d’être responsable d’un accident mortel de la route, risque multiplié par 15 en cas de consommation conjointe d’alcool et de cannabis. Face à ce constat, une chose est certaine : la consommation de cannabis, notamment chez les adolescents et les jeunes adultes, est un véritable problème de santé publique.

A ceci s’ajoute que le cannabis, dans le cas ou il est consommé quotidiennement, entraîne déresponsabilisation et démotivation, eux-mêmes favorisant la désinsertion sociale et l’échec scolaire, si préoccupant aujourd’hui. De plus, la consommation fréquente entraîne un besoin d’argent pour se procurer sa dose, d’autant plus problématique qu’il affaiblit les moyens de s’en procurer et facilite, particulièrement chez les jeunes, le glissement vers la délinquance et le trafic.

 Les promoteurs des lois prohibitionnistes  les jugent souvent comme inefficaces car elles ne seraient  pas appliquées ou de manière trop laxiste, et non pas parce qu’elles seraient inadaptées à la situation qu’elles devraient prévenir.  65% des sondés étaient ainsi hostiles à la légalisation de l’usage (tandis que 55% et 67% de ceux qui se déclarent proches de la gauche et surtout des écologistes, y étaient favorables), 72% des sondés étaient hostiles à la régulation du cannabis au même titre que le tabac ( 42% de ceux qui se déclarent proches de la gauche y étaient favorables, 61% parmi les proches des écologistes) (4).

Les résultats de ces sondages ne doivent toutefois pas décourager les partisans   de la dépénalisation de l’usage dans la perspective de la légalisation contrôlée. Ainsi selon l’OFDT, si les français restent  majoritairement hostiles à une mise en vente libre du cannabis, la proportion de ceux qui seraient favorables à sa légalisation sous conditions ( maintien de l’ interdiction pour les mineurs et au volant) aurait doublé entre 1999 et 2013, passant de 31% à 60% (5) !

En Juin 2011, plus d’une vingtaine de chefs d’Etat, de gouvernement et d’anciens hauts responsables des Nations Unis prirent  l’initiative de publier un appel dénonçant l’échec de cette guerre à la drogue, la qualifiant de purement idéologique et politique, estimant « ses conséquences dévastatrices pour les hommes et les sociétés du monde entier » .Constatant que les dépenses engagées dans de « vaines politiques réduction de l’offre et les coûts judiciaires et d’incarcération étaient infiniment supérieures à celles visant à en diminuer la demande et à réduire les risques  » ils appelaient à un véritable changement de stratégie. Naturellement pas en faveur de leur promotion comme voudrait le faire croire les idéologues, mais en faveur de stratégies « responsables, basées sur la dépénalisation, l’expérimentation de la réduction des risques et la régulation légale »

Cette évolution des attitudes de hauts responsables politiques a précédé un tournant majeur dans la manière d’appréhender les questions de drogue. Alors que le gouvernement uruguayen  préparait la légalisation de l’usage, de la production et de la commercialisation du cannabis, le 29 Août 2013  le Procureur général des USA a ainsi produit une directive sur le contrôle du cannabis qui  de facto autorisait les Etats du Colorado et de Washington à légiférer dans le même sens (6). Rappelant, pour ne pas contrevenir aux dispositions de la Convention de 1961 sur les stupéfiants,  les grands axes de sa politique répressive, il autorisait les Etats à régulariser leur  production, leur  distribution et la consommation de cannabis à des fins récréatives sous les réserves propres aux drogues légales (protection des mineurs, contrôle usage public notamment au volant, licence et taxation, répression des trafics et contrebande , etc..) Cet acte juridique d’un pays dont l’histoire du contrôle social des drogues  se confond avec celle de leur prohibition, est un évènement historique. Au même titre que les initiatives du Sénateur Blaine qui en 1933 débouchèrent sur l’abrogation du 18° amendement de la Constitution américaine interdisant la consommation d’alcool, la  légalisation du cannabis au Colorado et dans l’Etat de Washington par Eric Holder marquera le commencement d’une nouvelle politique face à la drogue.

Motion

Le Conseil Fédéral :

  • constatant que la remise en cause des dispositions prohibitionnistes à l’égard du cannabis, observée à l’échelle internationale,  milite en faveur de la promotion nationale d’une approche globale de santé publique, fondée sur l’évaluation scientifique des politiques de réduction des risques, soucieuse des droits de l’individu et de la promotion de sa santé, telle que la défend  EELV  dans son Projet 2012,
  • observant que  la Commission des stupéfiants des Nations Unies, organise cette année, un examen en profondeur de la mise en œuvre du » Plan d’action pour le problème mondial de la drogue« , et que les nouveaux parlementaires européens EELV devraient se saisir de cette occasion, pour défendre une renégociation  communautaire de conventions internationales actuellement hostiles à la transition du tout répressif vers une  régulation publique de l’usage, de la production et de la distribution du cannabis à des fins récréatives,

Réaffirme la volonté d’EELV  de parvenir:

  • à la dépénalisation rapide de l’usage du cannabis récréatif,
  • au lancement d’ initiatives visant à expérimenter des modèles de légalisation contrôlée (incluant notamment le contrôle des prix, les interdictions aux mineurs et au volant) afin de réduire l’emprise des mafias locales et les pouvoirs du crime organisé ,
  • à la mise en place d’une véritable politique d’accompagnement médico-social  pour les personnes en situation de dépendance,
  • au développement de programmes de prévention efficaces et disposant de moyens conséquents, permettant d’offrir, notamment à la jeunesse, des alternatives crédibles à l’usage des drogues légales et illégales,
  • au renforcement  et à la concentration des mesures répressives sur les organisations criminelles,
  • à la révision des conventions internationales sur les stupéfiants afin de fournir une base légale à l’expérimentation de la réduction des risques et de la légalisation contrôlée du cannabis.

encourage :

  • nos instances à lancer une initiative publique, associant les mouvements progressistes, les associations (ex: cannabis clubs) et professionnels de la dépendance, des questions de sécurité et de justice, pour dénoncer les effets contre productifs des législations passées, promouvoir la dépénalisation de l’usage et la mise en place progressive de mesures de légalisation accompagnée d’une réelle régulation.
  • nos parlementaires à rechercher avec les  partenaires  progressistes hostiles au tout répressif (7), les moyens d’amender dans les plus brefs délais les dispositions législatives pénalisant les usagers, hors toute autre prise de risque, en se saisissant notamment de l’opportunité offerte par les prochains débats sur la Justice de demain,
  • nos candidats aux prochaines élections européennes à prendre parti et à défendre avec leurs autres collègues du PVE, la révision des conventions internationales sur les stupéfiants qui font obstacle à l’évolution des pratiques et de leur cadre législatif.
  • les commissions intéressées (santé, justice…) à contribuer à préciser les moyens politiques et juridiques qui permettront de donner un cadre légal à un usage régulé du cannabis ( notamment: interdiction de la conduite sous l’influence du cannabis, l’interdiction de la publicité, de la distribution gratuite, de la vente aux mineurs, de l’usage dans les lieux publics, sur l’étiquetage informatif et le contrôle de qualité)et permettant aux individus et à la société d’en limiter les dommages qui lui sont potentiellement liés, dans un esprit de maîtrise et d’autonomie dans la relation à la drogue.
  • la mise en place d’une véritable politique de prévention des dépendances s’adressant en particulier aux jeunes, ainsi qu’un rééquilibrage des moyens entre la répression du trafic, les soins aux personnes dépendantes et la prévention s’adressant à tous et en particulier aux jeunes.

Unanimité pour

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