Le jeudi 8 décembre dernier, le groupe de travail sur le crise d’Europe Ecologie – Les Verts a organisé une audition publique animée par Eva Sas, co-responsable avec Agnès Michel de la commission économie d’EELV. Deux économistes chercheurs ont été invités à nous faire part de leurs analyse de la crise et de ses multiples aspects – dette, euro, projet économique, répartition des richesses…

 

Anne-Laure Delatte, spécialiste des questions de crise de la dette, Xavier Timbaud, économiste à l’OFCE et Pascal Canfin, député européen qui s’est distingué par son travail sur les questions de finance, nous ont dressé un tableau sombre mais pas dénué d’espoir de la situation actuelle.

Pour Anne-Laure Delatte, une des promesses de l’euro était de permettre aux Etats de se financer à un taux identique et bas de façon à leur permettre de faire des investissements productifs, permettant ainsi aux pays comme la Grèce ou l’Italie de devenir plus compétitifs. On constate dix ans après la mise en place de l’euro que ces taux bas ont financé de la consommation et des secteurs prompts aux bulles (les prix de l’immobilier ont doublé de 2000 à 2010 en Irlande par exemple). La dette privée est passée de 200 à 300 % dans la zone euro, engendrant une augmentation du déficit de la balance commerciale.

Par un comportement qu’elle qualifie de « mouvements mimétiques et animaux de la par des opérateurs sur les marchés », la chercheuse constate que l’on assiste aujourd’hui à un mouvement inverse des capitaux au moment de la crise. L’euro a créé un faux sentiment confiance vis-à-vis de la zone euro.

Pour elle, cela s’explique par le fait que les seules politiques menées au niveau européen jusqu’ici ont été fiscales. Les critères de Maastricht (3 % de déficit du PIB, un taux d’endettement de 60 %) n’ont pas permis de surveiller ce qui était véritablement important pour le assurer un dynamisme économique durable : la compétitivité des pays et leur balance commerciale (Grèce : déficit commercial de 14 % du PIB, Portugal 12 %).

Selon Anne-Laure Delatte, « la crise n’est pas liée à la zone euro elle-même. Nous sommes devenus dépendants des marchés sans mettre en place de mécanismes protecteurs. Comme il n’y a pas de solidarité budgétaire, les pays fragiles ont été les plus exposés. On aurait du leur prêter de l’argent tant que cela était possible. On ne partage pas la même monnaie sans accepter plus de fédéralisme. »

Xavier Timbaud complète cette intervention en soulignant que la crise que nous traversons aujourd’hui est extrêmement grave. La mise en défaut de la Grèce n’a fait que répéter et amplifier ce qui s’était passé en 2008 avec la faillite de la banque américaine Lehman Brothers.
L’euro est fragilisé. Or, sortir de l’euro ne se fera pas sans dommages jamais expérimentés jusqu’ici dans l’histoire économique.

Il s’intérroge : «  Quels sont les enjeux en termes de politique ? En 2008, nous avons enrayé le processus récessif. On a transféré les dettes aux Etats. Que faire aujourd’hui ? Trois scenarii:

– on peut retrouver la trajectoire de croissance et le paquet se résorbe seul

– on peut étaler sur un long temps le paquet de dette accumulée, de façon juste et morale

– l’économie s’effondre

Comment arriver à organiser une stratégie économique pour s’orienter vers le premier ou le deuxième scénario ? Tous les pays développés se trouvent dans la même situation budgétaire. L’Europe l’est même moins que les USA ou la Grande-Bretagne. Or aujourd’hui l’euro est inachevé.

Aux Etats-Unis ou en Grande-Bretagne, les taux d’intérêts sont bas. Dans une situation de crise, tout le monde  a peur que son argent disparaisse. Or tout le monde a besoin de transférer de l’argent dans le temps. Pour faire cela, il nous faut une monnaie qui traversera les décennies. Dans une situation de crise, tout le monde à peur, or le gouvernement ne peut pas faire faillite, ou fera faillite en dernier. Donc l’Etat est en mesure d’emprunter à un taux bas. Donc la contrainte budgétaire est basse et il peut réinvestir. Or l’Euro ne peut pas faire ça car la BCE ne garantit pas un bon du trésor. CE qui insécurise les prêteurs, et prête à des taux plus élevés. Or si l’Italie a des taux d’intêret à 7 %, le pays est plus évidemment plus susceptible de faire défaut, donc les taux augmentent, etc. »

Selon lui, si la BCE garantissait les taux, elle pourrait rassurer les marchés. Mais cela risque de créer de l’inflation. La banque centrale doit donc intervenir. Or elle ne peut pas le faire selon les traités actuels. C’est interdit, et on a des institutions mises en place pour faire respecter les traités. C’est pour cela qu’il faut changer les traités, et bien les changer.

Pour les Français, ce qui est nécessaire n’est pas illégal. Ce à quoi s’oppose l’Allemagne.

Pour l’eurodéputé Pascal Canfin le « traité Merkozy » va être contre-productif. Dans les services de la BCE ou de la commissions, aucun modèle économique n’est capable de montrer que les politiques d’austérités actuelles permettront d’atteindre les 3 % en 2013. L’objectif de la règle d’or est inatteignable et bien entendu pas souhaitable.

Cela pose un problème de crédibilité de la parole politique vis-à-vis des citoyens et vis-à-vis des marchés. Pour rendre crédible cette parole, il faut que la BCE se porte garante des dettes des Etats. Mais si on compte combien de dette européenne la BCE devrait racheter, cela se comptabiliserait en centaines de milliards de dollars. Dès lors, quelle solution ?

Il faut que la BCE puisse garantir les emprunts et que les banques puissent encaisser des pertes, dans la mesure du possible de leur trésorerie. Il faudrait que les banques  ne fasse plus de bénéfices, qu’elles encaissent les pertes, qu’elle cessent de verser des dividendes et que tous l’argent disponible permette de couvrir la dette.

Il faut en outre faire ce que les Etats américains ont fait il y a 220 ans. Ils ont créé une dette fédérale. Soit le stock des dettes nationales est transféré dans une dette européenne, soit les nouvelles dettes deviennent européennes. Pour cela, il faut un changement de traité.

Par ailleurs, il faut être prudent sur les termes que l’on emploie lorsqu’on parle de la crise. Il ne faut pas dépolitiser les solutions. Ce n’est pas l’Europe ou l’Allemagne qui sont chacun porteurs de solutions propres à leur pays. 25 Etats sur 27 sont dirigés par la droite. Ils mènent des politiques de droite. Il en va de même à la Commission : les recommandations à l’Italie étaient d’un néo-libéralisme caricatural. Paradoxalement, et en dépit d’une majorité à droite, le Parlement européen est l’institution européenne la moins à droite.  Le contexte politique témoigne de la faillite de la droite à résoudre le problème. Mais il faut se demander pourquoi depuis 2008 aucun gouvernement de gauche n’a été élu ?