l’édito de David Cormand
Secrétaire national

Jeudi 23 novembre, en Conseil de Paris, le groupe des élu·e·s écologistes a proposé un vœu relatif aux journées du patrimoine. Ce vœu avait pour objet de soutenir le travail de plusieurs associations pour une meilleure visibilité des femmes dans l’espace public, culturel, artistique. Ces associations organisent depuis trois ans des « Journées du matrimoine », avec le soutien de la Ville de Paris, de la région Île-de-France, et un public toujours au rendez-vous.

Le vœu proposait aussi de prolonger le travail de cette association, en demandant que la Ville de Paris communique dorénavant sur les « Journées du matrimoine et du patrimoine ». Un pas pour que les institutions et le grand public découvrent chaque année un peu plus la part de notre héritage que nous devons aux femmes.

Ce sujet peut paraître annexe à certains. Il peut prêter à sourire. Il suscite aussi, je le constate, des réactions dont la violence me parait d’ailleurs significative… Pourtant, j’assume de dire qu’il est essentiel.

L’invisibilisation des femmes dans l’histoire de notre pays, et du monde, est un phénomène connu. Et ce n’est pas un phénomène accidentel. Il a un sens, car l’histoire, la façon dont elle est écrite, et la manière dont la mémoire est sélectionnée et transmise est un enjeu de pouvoir, et donc de domination potentielle. Il n’est pas anodin que ce soit les inventions, les rôles, les exploits, les réalisations, les œuvres des hommes qui soient retenus au détriment de celles des femmes. Car il s’agit souvent, au moment où l’histoire s’écrit, de légitimer par une lecture du passé un pouvoir du présent. En l’occurrence celui qu’exercent les hommes. Dés lors, c’est à des hommes du passé qu’il convient de faire référence pour appuyer celui d’hommes du présent.

De la même façon, le fait que le mot qui désigne les traces laissées par le passé et qui matérialise notre mémoire collective soit « patrimoine » n’est pas anodin et témoigne du lien que la langue française implique entre l’histoire et son caractère « paternel », et donc masculin.

Soit, admettons cela. Mais n’aurait-on vraiment pas autre chose à faire quand on est écologiste ?

Et bien quand on est écologiste, précisément, on est viscéralement attaché·e à interroger de manière globale une société qui s’est lovée dans de « mauvaises habitudes » : celles de consommer des ressources limitées de manières illimitées en nourrissant des inégalités sociales toujours plus grandes ; ou celles, par exemple, de se résigner à l’effacement des livres d’histoire, des noms des rues et d’une juste représentation dans les différentes strates de nos sociétés d’une partie de la population, en l’occurrence les femmes.

Ce sujet participe d’une même logique, bien entendu, que celle qui produit les violences spécifiques que subissent les femmes. L’exclusion par le langage est l’une des formes de la violence symbolique, qui dit et rappelle aux femmes qu’elles n’ont pas leur place dans le pays des droits de l’homme, un pays où le masculin pluriel est la règle. On l’oublie, on n’en a pas conscience, mais cette invisibilisation joue un rôle dans la façon dont se construisent les enfants, les modèles qu’ils et elles prennent du passé, ce qu’ils et elles envisagent pour leur avenir.

C’est notre rôle à nous, écologistes, progressistes, de dénicher les violences et les injustices partout où elles se trouvent. Nous agissons contre les violences sexuelles, les féminicides, l’impunité des agresseurs, nous nous battons pour une éducation à la sexualité et à l’égalité femmes-hommes, nous sommes un parti féministe et portons le projet d’une société débarrassée de toutes les formes d’inégalités et d’injustices. Et nous pointons du doigt l’ensemble des mécanismes qui construisent et entretiennent ces inégalités et ces injustices.

Cela passe, aussi, par la culture et le patrimoine. Ce que nous retenons de l’histoire, ce que nous valorisons et mettons sur les murs des musées n’est pas neutre. C’est un choix politique. L’accaparement de la force de légitimation que procure l’histoire et son imaginaire de narration viriliste par les hommes participe du contexte qui légitime les violences que subissent les femmes.

C’est la raison pour laquelle il faut mettre un coup de projecteur, marquer un manque, une faille, prendre conscience que nous avons une vision sélective des « grands hommes » à qui la patrie peut être reconnaissante.

Il y a une confusion dans la manière dont beaucoup d’hommes conçoivent le pouvoir. Celui-ci se confond trop souvent avec la domination. Pointer ce lien inscrit dans le traitement historique majoritaire et dans les mots n’est donc en aucun cas un gadget. Il permet de soulever une question essentielle qui conduit nos sociétés à générer, entretenir et légitimer des pratiques de domination.

L’écologie politique est une pensée qui interroge et remet en question toutes les dominations car elles sont toujours illégitimes et donc altèrent la capacité à vivre dans une société démocratique juste et apaisée.

Par définition, ce mode de militance irrite car il est déviant par rapport à la pensée installée.

Mais il constitue aussi l’ADN d’une pensée politique en mouvement qui cherche les origines et les racines des maux de nos sociétés pour tenter de les apaiser.

Le jour de la Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes, il est important pour les écologistes de rappeler ce combat, et de rappeler que nous devons lutter contre ces mécanismes de domination. Nous les dénonçons quand ils sont exercés à l’encontre du vivant, quand l’homme se fait « maître et possesseur de la nature » selon les mots de Descartes. Il appartient aussi aux écologistes de les dénoncer quand ils se font à l’encontre de l’humanité elle-même.

David Cormand

Secrétaire national