Le projet de loi Biodiversité est en cours d’examen au Palais du Luxembourg, plusieurs mois après son adoption en première lecture à l’Assemblée nationale. Face à l’érosion de la biodiversité, les écologistes espèrent une loi à la hauteur des enjeux.

Madame la présidente,
Madame la ministre,
Mes chers collègues,

Au moment d’entamer – enfin ! –, près d’un an déjà après son examen à l’Assemblée nationale, la discussion du projet de loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, je me dois tout de même d’exprimer quelques craintes quant à la nature du débat qui nous attend.

Nous pouvons en effet toujours redouter que, au-delà des discours généreux et généraux sur l’importance de la biodiversité, de possibles coalitions entre tenants d’une agriculture toujours plus shootée aux produits phytosanitaires, porte-voix des défenseurs du droit de chasser sans contrainte et défenseurs de grandes infrastructures qui font marcher le BTP ne transforment le Sénat en caisse de résonance de cette petite musique « L’environnement, cela commence à bien faire », ici reprise en chœur. Toutefois, le pire n’est pas non plus certain. C’est pourquoi je rends ici hommage au rapporteur Jérôme Bignon et à l’ensemble de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable présidée par Hervé Maurey d’avoir su travailler ensemble et pu améliorer un texte sans le détricoter.

Madame la ministre, il faut beaucoup d’abnégation pour tenter d’apprendre à ce pays à acquérir une approche raisonnable des questions de protection de la nature, tant la France, plus que d’autres pays, semble rechigner à considérer la biodiversité comme un enjeu majeur de politique publique au point de nier les conséquences désastreuses d’un effondrement de cette biodiversité, socle pourtant de notre alimentation, de notre santé et, bien sûr, de notre climat. Pour illustrer ce constat, il n’est qu’à comparer la situation de l’ours en France et dans les pays voisins – Italie ou Espagne – où il est un étendard des campagnes de promotion touristique.

Presque partout en Europe, les populations de plantigrades sont plutôt en progression : 7 % de plus en sept ans dans l’Union européenne. En Grèce, un tracé d’autoroute a même été modifié pour les préserver ! Pourtant, en France, cet été, deux ours bruns mâles se sont frottés désespérément aux arbres, ont laissé leur odeur un peu partout, en espérant rencontrer des femelles qui n’existent malheureusement plus dans l’ouest des Pyrénées. (Mouvements divers sur plusieurs travées.)

Ainsi, nous allons débattre d’une loi sur l’enjeu majeur de la préservation de la biodiversité et de la faune sauvage, alors que la France, membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies, n’est pas capable de relâcher deux ourses, de trouver en son sein le minimum de consensus pour préserver son plus grand carnivore, laissant littéralement crever de solitude ses derniers plantigrades.

C’est dans ce contexte particulier que ce texte tente de se frayer un chemin, dans un pays où certains considèrent encore possible de défendre la chasse à la glu au nom de je ne sais quelle tradition historique ou culturelle. Je suis presque même surpris que nous n’ayons pas eu un amendement sur le retour des pièges à mâchoires… (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)

Pour préserver et reconquérir la biodiversité en France, nous savons pourtant globalement quels sont les enjeux. Il faut préserver le territoire, éviter la perte du sol, trop facilement artificialisé, fragmenté par des infrastructures, les mitages et les étalements d’urbanisation. Je regrette d’ailleurs – il en a été question en commission – que le principe de la protection des sols n’ait pas été plus fortement réaffirmé dans le projet de loi.

La cohérence globale de la trame verte et bleue et des continuités écologiques est justement l’un des véritables progrès apportés ces dernières années à la gestion de la biodiversité en France. Le schéma régional de cohérence écologique et le schéma régional d’aménagement du territoire, avec son caractère prescriptif, constituent de réelles avancées dans les textes que nous avons adoptés l’année dernière. On ne peut donc que s’inquiéter aujourd’hui de certaines déclarations, comme celle de Xavier Bertrand, nouveau président de la région Nord-Pas-de-Calais-Picardie, de remettre en cause le SRCE, outil pourtant clef de préservation de la biodiversité.

Nous le voyons bien, le combat n’est pas encore totalement gagné et nous pouvons toujours nourrir quelques inquiétudes pour l’avenir. Espérons que, cette fois, avec une vision plus globale et partagée – ce sera bien l’un des rôles de l’Agence française pour la biodiversité –, nous réussirons à gagner définitivement cette bataille culturelle, tant certaines avancées restent encore fragiles. Dans cette optique se pose évidemment la question des moyens, qu’Évelyne Didier a longuement évoquée. Se pose aussi celle des mutualisations : alors que nous reconnaissons tous qu’il faut améliorer l’action publique, nous continuons à garder différentes polices de l’environnement réparties dans différentes agences, quand le sens de l’action publique imposerait de n’en avoir qu’une seule.

Dans les combats qui restent à mener, la question de la compensation est aussi centrale. Nous savons que, pour certains aménageurs, les principes « éviter, réduire, compenser » se transforment en « surtout éviter et réduire toute mesure de compensation ». Ce projet de loi devra tendre vers une obligation de résultat en termes d’équivalence écologique. J’espère que le débat au Sénat permettra d’avancer sur ce point et de définir des mesures de suivi et de contrôle efficientes, l’enjeu étant bien d’éviter au maximum d’avoir à compenser.

Je ne reviens pas sur les autres enjeux. Joël Labbé reviendra sur les agressions chimiques, notamment la question des néonicotinoïdes. La non-privatisation des ressources naturelles, le refus de la brevetabilité à tout-va spoliant les communautés traditionnelles de leur savoir-faire constituent aussi un enjeu important, Marie-Christine Blandin aura l’occasion de proposer des amendements d’encadrement lors de la discussion des articles.

Mes chers collègues, le projet de loi comporte plusieurs avancées. À cet égard, je remercie Mme la ministre de son écoute, qui a déjà permis à l’Assemblée nationale d’intégrer des amendements d’importance. Toutefois, ce texte est imparfait pour atteindre l’enjeu qui est de stopper la perte du vivant dans notre pays, y compris dans les territoires ultramarins, et de trouver l’équilibre entre activités humaines et préservation des écosystèmes. Nous n’avons pourtant pas le choix. Si nous ne trouvons pas cet équilibre, c’est bien notre avenir que nous menaçons.

Peu de débats disent autant la difficulté de se dégager du court terme, voire parfois de la prochaine échéance électorale. La commission du développement durable, je l’ai dit, a souvent été capable d’améliorer le texte et d’appréhender ce long terme. Essayons donc de poursuivre dans cette voie et évitons de laisser plus longtemps deux ours célibataires se morfondre dans les Pyrénées françaises !

– Seul le prononcé fait foi –