Pour concilier droit au logement et mixité sociale, il faut capter du parc privé

Exposé des motifs

A l’heure où s’aggrave la crise sociale, la crise du logement n’a jamais été aussi forte, repoussant dans une précarité quotidienne des millions de personnes. Malgré le changement de cap des politiques publiques sur le logement depuis le changement de gouvernement et les actions volontaristes de Cécile Duflot (encadrement des loyers, renforcement de la loi SRU, création d’un dispositif incitatif à l’investissement locatif plus juste, baisse de la TVA sur le logement social, remise sur le marché de logements vacants, interdiction des expulsions de ménages prioritaires au DALO, etc.), les résultats pour l’amélioration des conditions de vie des victimes de la crise du logement, fatalement, se font attendre.

Cette urgence sociale est d’autant plus vive pour les ménages qui ont été jugés prioritaires au droit au logement opposable (DALO) sans pour autant avoir été relogés par l’Etat, pourtant responsable de ce droit à valeur constitutionnelle. Cette lenteur peut s’expliquer par de multiples raisons, mais elle reste un scandale pour les quelque 30 000 ménages qui la subissent et une honte pour l’Etat qui bafoue ainsi ses propres engagements.

Le principal frein à l’application du DALO réside dans la faiblesse du nombre de places attribuables en logement social dans les zones les plus tendues où se concentrent des prioritaires DALO, et dans des procédures d’attribution qui ne permettent pas bien souvent de faire des « prioritaires » DALO les premiers bénéficiaires des HLM disponibles. Sur ces deux points, des changements ont été actés (renforcement de la loi SRU et donc du nombre de logements sociaux construits) ou vont l’être (réforme des attributions de logements sociaux). De plus, un effet pervers du DALO a été pointé depuis des années qui pourrait à terme remettre en cause son acceptabilité politique même : les bénéficiaires du DALO étant relogés par les préfectures dans le parc social, ce sont les communes comptant de nombreux logements sociaux qui les accueillent, tandis que celles qui en sont dépourvues échappent à cette obligation de solidarité. Si bien que la pauvreté se concentre toujours aux mêmes endroits, aboutissant à opposer les pauvres entre eux et amenant les élus des communes populaires à refuser l’arrivée de ménages prioritaires DALO, tandis que les communes riches en sont exonérées.

Face à cela, EELV, main dans la main avec bon nombre d’experts ou d’acteurs associatifs, promeut depuis des années le recours à la captation d’une partie du parc locatif privé pour reloger des ménages prioritaires sans attendre. Sur le modèle londonien, des dispositifs d’intermédiation locative ont ainsi été développés depuis six ans, tant par des collectivités locales (Louer Solidaire à Paris ou Solizen en Région Ile-de-France) que par l’Etat (Solibail). L’intermédiation locative consiste pour une collectivité à louer un logement dans le parc privé puis à la sous-louer, via un bailleur social, une SEM ou une association agréée, à des ménages en difficulté à un loyer préférentiel. Le propriétaire adhérant à ce programme reçoit un loyer inférieur au prix du marché de la part de la collectivité ou de l’association mais bénéficie ensuite de loyers garantis, d’avantages fiscaux, d’une gestion locative assurée à sa place sans frais et d’une remise en l’état du logement à la fin du bail.

Ces exemples ont fait la preuve de leur efficacité. Mais peinent encore aujourd’hui à se développer à une échelle suffisante pour répondre à la demande, soit par manque d’information des propriétaires soit par le refus de ceux-ci d’abandonner la gestion de leur bien soit par la perspective de rendements locatifs potentiels supérieurs dans le marché libre. Il faut maintenant dépasser le stade encore expérimental ou artisanal (Solibail atteint à peine les 6 000 logements dans toute la France) et passer au stade « industriel ».

C’est pourquoi nous proposons d’instaurer pour les collectivités la possibilité de bénéficier d’un « droit de priorité locatif » (DPL). Sur le modèle du droit de préemption urbain, ce DPL ferait de la collectivité la candidate prioritaire pour tout logement mis sur le marché locatif privé. Les ménages prioritaires au DALO pourraient donc être relogés dans le parc social ET dans le parc privé disponible, bien plus abondant et mieux réparti sur le territoire.

Les parlementaires EELV ont déposé un amendement allant dans ce sens lors de la discussion de la loi relative à la mobilisation du foncier public et au renforcement des obligations de production de logement social (loi « Duflot 1 »), et ont obtenu le vote d’un rapport sur le sujet (article 17), dans la perspective de son adoption au cours des mois prochains dans la loi « Duflot 2 ». Ce rapport est en cours d’élaboration au sein du ministère du Logement, et il nous apparaît aujourd’hui prioritaire d’expliquer les vertus de ce dispositif mutuellement bénéfique pour les collectivités, les bailleurs et bien sûr les ménages en difficulté, pour que nos parlementaires puissent le défendre en toute connaissance de cause.

Le DPL présente plusieurs avantages, en complément ou à la place de dispositifs actuels insuffisants :

• Le DPL est une alternative plus humaine et moins coûteuse à l’hébergement dans les hôtels dits « sociaux », qui coûtent un million d’euros par jour à l’Etat et n’offrent que des solutions précaires aux ménages dans le besoin. Les ménages relogés grâce à l’intermédiation locative bénéficient d’un “vrai” logement et d’un accompagnement social.

• Le DPL est complémentaire des politiques de lutte contre la vacance des logements, qu’il s’agisse de la taxation des logements vides ou des procédures de réquisition, en permettant une sortie par le haut aux propriétaires de logements vides.

• Le DPL offre des solutions de court terme au problème des relogements des ménages déclarés prioritaires au DALO, de manière plus rapide que l’attente de l’attribution de logements sociaux. Le parc social a naturellement vocation à reloger les DALO, mais il serait illusoire de tout attendre de lui aujourd’hui, alors que les files d’attente de demandeurs s’allongent et que les bailleurs sociaux sont bien en peine d’atteindre l’objectif de 150 000 constructions annuelles. Néanmoins, dans le cadre d’une location/sous-location, l’Etat n’est en rien exempté de son obligation de relogement.

• Le DPL est enfin une réponse aux communes réfractaires à la loi SRU qui font généralement valoir leur manque de foncier utilisable pour respecter leur quota de logements sociaux, auxquelles il deviendrait possible grâce au DPL de s’appuyer sur le flux de logements privés remis en location chaque jour. En parallèle aux obligations de production de logements sociaux, ces communes pourraient donc également être astreintes de capter des logements locatifs privés, en vertu d’un schéma de répartition équilibré entre communes d’un même territoire selon les besoins de logement pour le DALO.

Motion :

EELV défend l’adoption dans la loi « Duflot 2 » d’un droit de priorité locatif (DPL), qui permettra de mobiliser le parc locatif privé pour reloger des ménages modestes exclus du marché et en attente d’un logement social, en particulier ceux qui ont été reconnus prioritaires au Droit au logement opposable (DALO) ou pour qui l’hôtel est aujourd’hui la seule solution.

Ce DPL consiste pour les collectivités à devenir prioritaires si elles souhaitent se porter candidates à la location de tout logement mis en location sur leur territoire, afin d’y développer des solutions d’intermédiation locative pour y loger des ménages en attente d’un logement social, en échange d’une indemnisation du bailleur privé, d’une gestion locative et d’une remise en l’état à la fin du bail. Le bailleur bénéficierait également d’avantages fiscaux qui rendraient cette intermédiation locative financièrement indolore pour lui. Les ménages bénéficient, si nécessaire, d’un accompagnement social dans leur appropriation du logement.

Ce DPL pourra être mis en œuvre par les communes ou les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) le cas échéant. Il sera exercé toutefois par le préfet dans les communes ayant fait l’objet d’un constat de carence au regard de l’article 55 de la loi SRU, c’est-à-dire les communes qui refusent d’accueillir des ménages pauvres.

Le financement de ce dispositif peut s’appuyer sur plusieurs sources : les recettes issues de la taxe sur les logements vacants, qui a été augmentée récemment, celles issues de la taxe sur les bureaux vacants que nous espérons voir mise en œuvre prochainement, les dépenses qui seraient économisées sur les places d’hébergement à l’hôtel, une augmentation des prélèvements sur les communes en retard sur l’article 55 de la loi SRU et enfin une contribution des bailleurs privés.

Unanimité moins 6 abstentions.

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