Chronique de Daniel Cohn-Bendit sur Notre-Dame des Landes, parue dans le Nouvel Obs de cette semaine.

Histoire d’un crash annoncé

Pour m’être rendu à Notre-Dame-des-Landes, j’avoue que j’ai bien du mal à imaginer ce que la construction d’un aéroport pourrait y donner. Notre-Dame-des-Landes – « NDDL » pour les intimes – semble en effet bien éloigné de la ville de Nantes elle-même et avec très peu d’infrastructures pour joindre ces deux points. On me dira qu’il est préférable d’installer un aéroport à distance raisonnable des villes et que la construction de liaisons adaptées est déjà programmée… Mais aux uns comme aux autres, je serai tenté de répondre par une question : avez-vous réellement idée de l’ampleur de la chose que vous voulez créer ? Je ne suis pas, c’est vrai, expert en développement ligéro-atlantique. Mais pour connaître un peu la situation économique et financière du pays et l’évolution du marché des transports aériens, je dis que ce projet d’aéroport international a tout de la folie pharaonique ! Et je ne parle même pas de ses conséquences sur un plan environnemental…

 

L’histoire nous offre pourtant des éléments d’appréciation que Jean-Marc Ayrault ferait bien d’étudier… Car ceux-ci ne plaident guère en faveur de son « bébé » ! Ce projet rappelle, en effet, assez celui de Lyon-Saint Exupéry initié dans les années 1970 et dont la réussite est tout sauf fulgurante. D’accord, cet aéroport est à présent rentable, mais il aura fallu attendre près de 30 ans pour y parvenir. Et surtout, en dépit des très lourds investissements réalisés, il ne parvient toujours pas à s’imposer au rang d’aéroport international. Après trois vaines tentatives pour établir une liaison directe pour New-York, l’aéroport lyonnais, loin de parvenir à ses objectifs initiaux en transports de passagers, a dû pour l’essentiel se replier sur le « low-cost » et sur le fret de marchandises. Pas vraiment l’image d’un aéroport d’importance mondiale, celle-là même sur laquelle repose le modèle économique espéré par les concepteurs du projet Nantes-NDDL… On voit mal comment ce nouvel aéroport, appuyé sur une métropole et un espace économique bien plus restreints, pourrait davantage prendre son envol ! Et l’on se met à redouter qu’il ne s’agit plus là que d’une affaire personnelle pour l’ancien Maire de Nantes, dont on comprend qu’il cherche à laisser une trace, mais qu’on aurait aimé mieux inspiré en la matière.

 

Le plus étonnant dans cet entêtement, c’est le peu de cas que font le premier ministre et les grands élus de la région de la contestation des habitants et d’une foule d’associations. Alors que ce genre de projets est celui qui précisément nécessite le plus de consensus au sein de la population locale ! Les incidences économiques, financières et environnementales sont bien trop grandes pour la mettre à ce point de côté. Résultat, à force de vouloir passer en force, les oppositions se fédèrent et parfois se radicalisent. Je ne saurai donc que trop suggérer aux décideurs de se pencher sur le cas de la gare de Stuttgart en Allemagne; un autre projet d’envergure qui en l’occurrence devrait bel et bien être mené à son terme. Considérable, l’opposition aux travaux avait obtenu des pouvoirs publics la nomination d’un médiateur dont la décision devait être respectée par l’ensemble des acteurs. Après de nombreux débats retransmis sur la télévision locale, ce médiateur finit par annoncer que la meilleure solution était de laisser les habitants du Land décider eux-mêmes du financement du projet, et donc de son avenir. Le référendum eut lieu en novembre 2011 et aboutit à la confirmation des travaux, que devront paradoxalement assumer… les élus écologistes parvenus depuis peu aux commandes de Stuttgart et du Bade-Wurtemberg. Un paradoxe qui sonne aussi comme un signe de maturité démocratique et collective. Reste à savoir si nous sommes ici capables d’en faire de même…

 

Dany Cohn-Bendit