Paris, le jeudi 29 novembre 2012.

Monsieur le rapporteur, mesdames messieurs les député-e-s,

Je tiens d’abord à vous remercier d’avoir souhaité auditionner les groupes LGBT des partis politiques et plus globalement du nombre et de la diversité des auditions que vous allez mener sur le sujet de la loi « Mariage et adoption ». Ce n’est pas sans émotion que je m’exprime ce matin devant vous tant le sujet nous tient à coeur et tant le débat est passionné.

J’aimerais d’ailleurs commencer mon intervention, avant d’en venir à des sujets plus techniques et strictement législatifs, par un propos qui pourra paraître annexe ou moins central, mais qui me, nous, semble devoir être exprimé fortement. Car en ce moment, collectivement, nous personnes LGBT, nous souffrons. Nous pensions sincèrement, en 2012, éviter un retour en arrière de plus de 10 ans et les dérapages graves qui avaient accompagné les débats sur le PACS à la fin des années 90. Force est de constater qu’il n’en est rien et que certains dérapages, jusque dans cette enceinte du Parlement, et pas plus tard qu’il y a quelques heures, vont loin, très loin. Alors, avec une certaine solennité et en tout cas de l’émotion et un peu de colère, je vous le demande, à vous représentants de la Nation, faites attention aux mots et aux phrases que vous utilisez et utiliserez dans les débats sur ce projet de loi. Je sais que vous pouvez penser que ce ne sont là que des effets de tribune pas bien graves (après tout, en tant qu’élu régional, il m’arrive d’user de tels effets moi-même), mais il y a des mots qui, regardés par des millions de gens, nous blessent et nous stigmatisent dans notre identité même. Oui, les mots, ça peut faire mal et, hélas, parfois, pour les plus fragiles d’entre nous, ça peut tuer !

C’est bien d’ailleurs aussi pour ça que cette loi revêt une importance symbolique si grande et si cruciale pour des millions de personnes LGBT, même celles et ceux qui ne pensent ni à se marier ni à adopter. Elle est devenue le symbole d’une égalité complète en droit, égalité jusque-là refusée, d’une reconnaissance, enfin, comme des citoyens et des citoyennes à part entière et j’oserai même dire comme des être humains à part entière, comme les autres.

Autre point à souligner, au vu justement de la tournure des débats et de leur dureté, c’est que si nous tenons autant à ce que la loi qui va être présentée devant le Parlement soit la plus complète possible, avec notamment la PMA qui était promise, mais aussi, par exemple, les droits des personnes trans comme la facilitation du changement d’Etat civil, sans attendre d’autres débats, sur d’autres lois, plus tard, c’est que nous n’avons franchement pas envie de revivre, dans un an ou deux, le même déversement de stigmatisation et de haine…

J’aimerais aussi vous dire que, au delà du symbole que représente cette loi, il faut voir et comprendre que ce sont aujourd’hui des histoires de couples, de familles, des histoires d’amour et des vies qui sont empêchées, gâchées, ratées, parce qu’elles ne peuvent se concrétiser, se voir reconnaître, devant les proches et devant la société. Je vais passer par une anecdote qui me revient à cet instant, c’est la vision émouvante et si parlante, du premier couple de même sexe qui a pu se marier à New York quand le mariage y a été ouvert. Deux personnes de plus de 80 ans tout émues et étonnées d’avoir réussi à s’unir officiellement avant leur mort… Mais combien n’auront jamais eu cette chance? Combien de couples seront morts ou se seront séparés sans pouvoir se marier, combien auront renoncé à leur projet d’être père ou mère, et dont ça a gâché la vie? Comme Philippe Fretté qui à force de persévérance et d’années de procédure devant les juridictions européennes a fini par gagner en partie son combat pour avoir le droit d’adopter, mais trop tard pour pouvoir concrètement réaliser son projet parental.

Oui, pouvoir dire devant ses amis, ses collègues, sa famille : voilà la personne que j’aime et avec qui je veux vivre et d’ailleurs, la collectivité, avec son decorum républicain, le reconnaît et le marque de son sceau, ça peut tout changer. Déjà le PACS avait permis, dans certains cas, de faciliter l’acceptation de couples homos par leurs proches, par leur famille, notamment quand une cérémonie en mairie permettait d’emporter une adhésion légitimée par la reconnaissance officielle et républicaine.

Alors bien sûr, je vais insister sur certains points de vigilance qui, pour EELV comme pour d’autres, sont très importants et devraient être bien pris en compte dans cette future loi : la PMA, comme je l’ai déjà dit, que nous souhaitons voir figurer dans cette loi et pas dans une hypothétique autre loi, idem d’ailleurs pour les droits des trans dont nous doutons qu’on reparlera une fois refermé le débat actuel et qui pourraient, si vous me permettez l’expression, être « packagés » dans la loi qui nous occupe aujourd’hui. Autre sujet de vigilance majeur, le fait que nous souhaitons que cette loi soit vraiment l’ouverture aux couples de même sexe des droits actuellement liés au mariage, dans leur totalité et parfaite complétude, et pas en créant un mariage un peu différent, avec des droits moins importants, sur l’adoption par exemple, ou des exceptions. Il a fallu dix ans au moins pour toiletter toutes les exceptions qui faisaient que le PACS n’était pas un statut identique pour tous et partout. Ne recréons pas de « niches » inégalitaires ou discriminatoires dans une loi qui se veut porteuse d’égalité : veillons donc à ce qu’il n’y ait pas d’exception par exemple pour les DOM-TOM-POM ou pour les Français à l’étranger, etc… A cet égard un soin tout particulier devra être apporté à la situation des couples binationaux pour lesquels, là aussi, il ne doit pas y avoir d’exception ou de dérogation défavorable par rapport à la situation des couples de sexe différent.

Pour conclure, je voudrais redire à quel point cette loi est attendue car elle peut changer la vie, le parcours et faire le bonheur de dizaines de milliers de couples et de familles. Mais aussi à quel point cette loi a une portée symbolique immense pour des millions de personnes LGBT : c’est en quelque sorte notre loi de sortie de la stigmatisation, sortie que pour le coup nous ne voulons pas étalée sur des années ni faite de demi-mesures ou avec droit de retrait et clause de conscience qui viendraient la vider de son sens et du coup, rater ce qu’elle vise au fond : être un moment historique de l’avancée de l’égalité en France.

Je vous remercie.

Pierre Serne
Délégué thématique « Genre, Orientation sexuelle et Société » d’EE-LV
Europe Ecologie – Les Verts