> Tribune d’Isabelle Attard, Barbara Pompili et François de Rugy sur le Huffington Post

 

Alors que le projet de loi de Geneviève Fioraso est en cours d’examen à l’Assemblée, les députés écologistes lancent un cri d’alerte.

Le gouvernement présente un texte qui comporte, certes, une avancée : nous nous réjouissons de ce fameux article 2 sur la possibilité de dispenser des cours en anglais dans nos universités. Contrairement aux idées reçues nous sommes persuadés que la maîtrise de langues étrangères n’est pas un renoncement à notre culture. C’est bien au contraire l’ouverture de la boite des connaissances, c’est la liberté de travailler, de publier dans le monde entier, sans limite. Une telle mesure sera utile tant aux étudiants francophones qu’aux étudiants étrangers. Pour celles et ceux qui ne pratiquent pas parfaitement notre langue, c’est la possibilité d’apprendre à leur rythme tout en suivant leurs cours en anglais. Les doctorants étrangers venant terminer leur cursus en France, devraient par ailleurs pouvoir rédiger leur thèse en anglais sans avoir à en demander l’autorisation. Ces docteurs qui auront été immergés dans la culture française pendant des années seront nos meilleurs ambassadeurs.

Mais, au-delà de cette mesure intéressante, que de reculs, que de déceptions : Les Assises régionales et nationales de l’Enseignement supérieur et de la recherche ont permis l’audition de centaines d’organisations, syndicats et collectifs. Plus de 130 propositions ont été formulées afin notamment de lutter contre la précarité.

Quelques semaines et un projet de loi plus tard, que reste-t-il des propositions des assises pour la recherche ? Rien ou pas grand chose. Il reste surtout l’immense déception de ceux qui croyaient encore à cet exercice de démocratie participative après des années de vache maigre.

Nous, écologistes, ne nous étions pas toujours intégralement retrouvés dans le rapport final de Vincent Berger. Notre demande d’un « mieux de science « , garantissant la pluralité et la liberté des recherches, permettant à la société de questionner les scientifiques et aidant les citoyens à devenir des acteurs du développement des connaissances, n’avait pas été assez entendue. Cela aurait supposé un tissu de recherche dynamique, qui ne soit pas inféodé aux intérêts économiques, un accès pleinement ouvert aux connaissances et une démocratisation complète de l’accès à l’enseignement supérieur, hors de toute contrainte de ressource ou d’âge.

Il y avait pourtant dans les conclusions des Assises des demandes clairement formulées qui auraient permis d’ouvrir la voie à une véritable réforme de l’enseignement supérieur et de la recherche. On y trouvait une remise en cause du fonctionnement de l’AERES et une réforme en profondeur de l’ANR donnant enfin aux laboratoires la possibilité de travailler dans des conditions sereines. Nulle trace de ces deux remises en question dans le projet de loi.

Afin de simplifier le mille-feuille institutionnel, les Assises préconisaient de remplacer un grand nombre d’entités, type labex, RTRA, GIS, equipex, etc., par un groupement de coopération scientifique. Où est passé ce projet? Il était également prévu de supprimer le statut dérogatoire de « Grand Établissement ». Pourquoi ne pas l’avoir fait ?

Concernant les conditions d’études, le CROUS n’a pas été renforcé dans ses missions, Campus France continue de – mal – gérer l’accompagnement des étudiants étrangers et la création d’une allocation d’étude est reportée aux calendes grecques. Où sont passées les améliorations du statut des doctorants ? Plus de la moitié d’entre eux abandonnent en cours de thèse. Ce sont des centaines de milliers d’euros d’allocations et d’argent public qui partent en fumée chaque année par manque d’accompagnement et de suivi des recherches. Et comment justifier le maintien de la procédure de qualification, qui fait de la France le seul pays où le doctorat n’est pas suffisant pour devenir enseignant-chercheur ?

Par contre, le projet de loi innove en imposant à l’enseignement supérieur les missions de transfert de la recherche vers le monde économique. Cette mission n’a jamais fait l’objet d’un débat national et n’est pas apparue comme un sujet prépondérant au cours des Assises. Or, Ce transfert ne fait pas l’unanimité auprès de la communauté universitaire et nous sommes profondément opposés à la philosophie qui le sous-tend.

Nous sommes convaincus que le mode de gouvernance des communautés d’universités et établissements prévu dans ce projet de loi représente un grave recul de la démocratie universitaire. Nous pourrions en effet aboutir à des conseils d’administration composés à 60% de personnalités nommées et à 40% de représentants élus au suffrage indirect! De plus, par la création de ces communautés, des établissements privés pourront être accrédités indirectement à délivrer des diplômes nationaux. Est-ce vraiment ce que nous souhaitons ?

Disons-le tout net : si, depuis un an – et c’est bien normal dans une majorité pluraliste – certains projets gouvernementaux ont pu susciter insatisfactions ou doutes chez les écologistes, cette réforme universitaire nous inspire, en l’état, amertume et défiance.

 

Isabelle Attard, députée écologiste du Calvados, secrétaire de la commission des affaires culturelles et de l’éducation et chef de file pour le projet de loi Enseignement supérieur et Recherche. 
Barbara Pompili et François de Rugy, co-présidents du groupe écologiste à l’Assemblée nationale.