Agriculture bio, habitats partagés, villages de yourtes, systèmes d’échanges locaux, expériences de démocratie directe… Dans « Les défricheurs », publié ce jeudi, le journaliste Eric Dupin explore la France des alternatives à « l’épuisement de la modernité », celle des expérimentations tâtonnantes et des solutions concrètes – souvent nourries d’écologie.

C’est un voyage en France, « une autre France », un détour là où le regard – du moins le regard médiatique – s’aventure peu, et rarement dans la durée. Là où l’on croise des « dissidents », des « alterentrepreneurs ». Où l’on visite des « écolieux », îlots d’expérimentation, de résistance et de « buen vivir ». Eric Dupin a rencontré celles et ceux qui, selon la formule d’André Gorz, ont « osé l’exode » et décidé de « construire à côté » du système dominant. Parce qu’ils voulaient reconquérir la « souveraineté sur leur propre vie » (la formule est de Pierre Rabhi, largement cité et évoqué dans le livre), ils ont largué les amarres avec le vieux monde. Et tentent d’inventer autre chose. Dupin les raconte, leur donne la parole, et dresse le portait d’un continent dont l’ampleur, il le dit lui-même, l’a surpris.

L’inventaire des réalisations concrètes que tissent ces « défricheurs » pourrait, à lui seul, justifier le projet du livre – et sa profitable lecture. Après tout, dans les temps désolés qui sont les nôtres, il est toujours utile de se recharger d’optimisme, de belles choses et d’idoles exemplaires. Dupin, bienveillant sans être mièvre, ne s’arrête toutefois pas là, et c’est encore mieux : s’il dit toutes les promesses de ces alternatives, il en pointe aussi les difficultés et les contradictions. Malgré Rabhi, malgré la sagesse et la bonne volonté des défricheurs, la France des alternatives n’est pas « qu’ordre et beauté, luxe, calme et volupté ». Et le livre dit aussi là où ça coince. Sur le PTH, ce « Putain de Facteur Humain », bien sûr, qui fait parfois échouer les plus belles tentatives. Sur les embûches politico-administratives à affronter. Sur la variété des motivations à changer de vie aussi, et l’impact de la précarité économique et des accidents de parcours dans certains basculements. Sur le profil socio-culturel souvent homogène de ces défricheurs enfin, et le risque de voir demain se constituer une France duale, coupée en deux, dans laquelle une minorité – même plus forte qu’aujourd’hui – pourrait échapper au (mal)développement en bâtissant des « refuges verts », quand la majorité continuerait de subir les contraintes et l’aliénation d’un « système » qui, pour être à bout de souffle, demeure puissant.

Solide matière à penser, donc, pour le mouvement écologiste, qui – c’est l’un des constats douloureux de l’enquête – demeure très éloigné, en tant que formation politique, de beaucoup de ces défricheurs.

Les deux précédents ouvrages d’Eric Dupin étaient aussi des « voyages en France ». Mais ils dessinaient un pays épuisé, au bord de la crise de nerfs, en révolte sourde. On pourrait dire des « Défricheurs » qu’il clôt une trilogie. L’ouvrage n’assène pas de vérité définitive, ni ne livre un mode d’emploi de sortie de crise. Mais il trace des pistes, et livre quelques sérieux enseignements sur le potentiel de transformation de notre pays, et les ressources « citoyennes » qui le constituent, même si elles ne sont guère entendues. Alors, optimiste ? Peut-être pas. Mais utile, à coup sûr.

Mickaël Marie

Eric Dupin, « Les défricheurs. Voyage dans la France qui innove vraiment » La Découverte, 19,50 € Voir également le blog de l’auteur : ericdupin.blogs.com/ld