> tribune publiée dans Le Monde

Par Bastien François (professeur de droit constitutionnel, membre du conseil d’orientation politique d’Europe Ecologie-Les Verts)

 

L’idée d’une VIe République connaît un regain d’intérêt. Face à la défiance croissante des citoyens, la Ve République est devenue obsolète.

La « rationalisation » du parlementarisme imposée brutalement en 1958, le scrutin majoritaire pour l’élection des députés puis l’élection du président de la République au suffrage universel ont produit l’effet attendu : la stabilité du pouvoir gouvernant. Mais cette dernière a eu un coût démocratique exorbitant : l’exercice solitaire du pouvoir au sommet de l’Etat et son pendant, la disparition du principe de responsabilité politique. La grand-messe présidentielle quinquennale a perdu sa capacité d’impulsion charismatique. Le Parlement, qui s’est transformé en club de vieux mâles blancs bourgeois et sexagénaires cumulant les mandats, ne ressemble pas aux Français et aux Françaises. La loi électorale aggrave la situation : l’ensemble des députés, droite et gauche confondues, rassemble à peine la moitié des électeurs inscrits.

Le cadenassage des institutions en 1958 pouvait avoir du sens face à l’instabilité de la IVe République. Il est devenu aujourd’hui la principale source de blocage.

REPRODUCTION ENDOGAME

Face aux défis sociaux, économiques et environnementaux que nous affrontons, qui impliquent que nous changions radicalement notre modèle de société, comment peut-on imaginer que la tour d’ivoire présidentielle puisse être un modèle de gouvernement adéquat ?

Comment imaginer que les professionnels de la politique qui peuplent gouvernement et assemblées, obnubilés par leur reproduction endogame, puissent prendre des risques et avoir l’audace que la situation actuelle exige ?

Comment imaginer que les citoyens puissent se satisfaire d’être des spectateurs passifs entre deux échéances électorales quand leur avenir se joue ?

La Ve République est devenue un instrument conservateur de sauvegarde des intérêts d’une « classe » politique, l’arène d’une course de petits chevaux dans l’entre-soi politicien, une membrane imperméable qui sépare les citoyens des gouvernants.

La Ve République est-elle réformable ? Sa Constitution a été modifiée à 24 reprises. Le rythme des révisions s’est fortement accéléré à partir des années 1990. Jacques Chirac a promulgué 14 lois constitutionnelles en douze ans !

Nicolas Sarkozy est à l’origine d’une révision constitutionnelle considérable, dans son ambition et son ampleur, qui a conduit, en 2008, à un remaniement de presque la moitié du texte : 35 articles ont été modifiés, 3 ont été réécrits en entier et 9 ont été ajoutés.

TRANSFORMER LES FAÇONS DE GOUVERNER ET DE REPRÉSENTER

Cependant, si on laisse de côté l’élection du président de la République au suffrage universel (1962), qui n’a fait que conforter la pratique présidentialiste gaullienne, et la montée en puissance du Conseil constitutionnel (1974 et 2008), c’est peu dire que la « logique » de la VeRépublique n’en a pas été véritablement affectée.

Certaines promesses de « modernisation » ont été tenues (charte de l’environnement, parité, etc.), d’autres font régulièrement un « flop » (le renforcement des droits du Parlement).

Il est sans doute possible d’améliorer la Ve République, de la « mettre à jour », comme on le dit d’un logiciel. Mais si l’on veut changer les choses, on ne pourra pas faire l’économie d’un changement de régime, c’est-à-dire d’une transformation profonde des façons de gouverner et de représenter.

Qu’entend-on par changer de régime ? L’idée peut faire peur. Pourtant, rien de révolutionnaire ici. Un simple rétablissement de principes démocratiques élémentaires : responsabilité politique, juste représentation, participation citoyenne. Voilà le triptyque sur lequel repose une VIe République rétablissant la confiance dans la démocratie.

PARTICIPATION CITOYENNE

Une véritable responsabilité politique ? Pouvoir et responsabilité vont de pair en démocratie. Tel n’est plus le cas en France, où le pouvoir s’exerce sans risque. Pourtant, une solution simple existe, elle a pour nom « régime parlementaire ». Comme chez nos voisins européens, il faut conférer au seul premier ministre et à son gouvernement la détermination et la conduite de la politique de la nation sous le contrôle d’un Parlement capable d’exprimer les voix plurielles des citoyens.

Pour cela, il faut renforcer l’opposition parlementaire dans sa fonction d’interpellation, dans sa capacité à mobiliser des instruments de contrôle, d’investigation et d’évaluation des politiques publiques.

Mais quelle « juste représentation » ? Là encore, la solution est simple : proportionnalisation des scrutins, mandat unique et limitation du cumul des mandats dans le temps, parité systématique, véritable statut des élus.

Qu’en est-il de la participation citoyenne ? Il faut retrouver l’esprit de l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, selon lequel les citoyens « ont droit de concourir personnellement » à la formation de la loi. La VIe République doit proposer de nouveaux outils participatifs et délibératifs aux citoyens, des modes de coconstruction des politiques publiques, une large capacité d’interpellation des pouvoirs quels qu’ils soient, en prenant garde à articuler chaque fois décision et participation.

TOUT EST À INVENTER

Mais il ne s’agit pas seulement de rétablir les fondamentaux d’une démocratie ouverte et pluraliste. Il faut aussi imaginer une démocratie du XXIe siècle, attentive aux effets de long terme des politiques publiques et au destin des générations futures.

La VIe République doit être écologique. Ici, tout est à inventer. Une troisième Chambre parlementaire chargée du long terme ? Un président de la République mettant sa légitimité élective au service de la préservation des intérêts des générations futures ? Une règle « verte » constitutionnelle énonçant que la République veille à un usage économe et équitable des ressources, respectueux des limites de la biosphère, et qu’elle organise le financement des investissements nécessaires à l’adaptation publique aux grands changements naturels en cours et à venir ?

Voilà quelques pistes pour un chantier essentiel.