Analyse par David Cormand, Secrétaire national, du Plan climat présenté par Nicolas Hulot le jeudi 6 juillet. Vous pouvez retrouver cette analyse en format PDF.

 

Nicolas Hulot a présenté le plan de la France pour le climat. Cette feuille de route avait vocation à tracer les grandes lignes du quinquennat en matière de lutte contre le changement climatique. Après la nomination de Nicolas Hulot au poste de Ministre d’État de la Transition écologique et solidaire puis l’intervention d’Emmanuel Macron suite à la décision de Donald Trump de sortir les États-Unis des accords de la COP 21, la présentation de ce plan était très attendue.

À sa lecture, on reste sur notre faim.

Bien entendu, le tableau qui est dressé de la situation est fidèle à la réalité. Nicolas Hulot a parfaitement rappelé les enjeux en n’omettant pas de relier la question du changement climatique à la dimension sociale et économique, non plus que les enjeux du climat pour la paix et le développement dans le monde.

Mais à la vérité, depuis le discours de Jacques Chirac, déjà inspiré par Nicolas Hulot, en 2002 au quatrième Sommet de la Terre de Johannesburg: « Notre maison brûle et nous regardons ailleurs », puis le Grenelle de l’environnement voulu par Nicolas Sarkozy en 2007 dont les conclusions prometteuses, par la suite en grande partie abandonnées, avaient été rendues aux côtés d’Al Gore, jusqu’au « selfie » d’Emmanuel Macron d’il y a quelques semaines avec Arnold Schwarzenegger, en passant par le discours de la première Conférence environnementale de François Hollande de 2012 et les discours solennels qui avaient conclus la COP 21 à Paris en 2015, nous sommes désormais habitués aux rituels qui habillent ces moments où « le politique » est censé prendre rendez-vous avec l’avenir.

Depuis 25 ans et le Sommet de la Terre de Rio, la prise de conscience écologique est là et progresse. Plus grand monde ne conteste que la trajectoire actuelle nous conduit vers l’effondrement de notre civilisation telle que nous la connaissons.

Le problème aujourdhui est que nous ne pouvons plus nous payer de mots. Les cérémonies affectées ne font pas l’action. Les raouts internationaux où nos dirigeant-e-s se couvrent de l’onction de la bonne conscience sans que des engagements concrets ne soient pris ne sont pas à la hauteur des enjeux. En un mot, les paroles ne font pas les actes.

Il convient d’assumer que la « transition écologiste de la société » implique des ruptures avec nos modes de production et de consommation. Mais aussi avec ce que notre société a construit comme modèle d’émancipation.

Par exemple, la définition même de « ceux qui réussissent » par opposition à « ceux qui ne sont rien », telle qu’elle est conçue par le Président Macron qui souhaite que « les jeunes Français aient envie de devenir milliardaires », variante de la formule de Jacques Séguéla « Si à 50 ans, on n’a pas de rolex, c’est qu’on a raté sa vie », constitue une contradiction fondamentale avec la société de la sobriété que nous devons inventer pour éviter le chaos.

Nicolas Hulot, dans son film Le syndrome du Titanic, et depuis, l’a rappelé. Nous devons passer d’une société où l’imaginaire de la réussite et de l’émancipation passerait par l’abondance et la capacité à accumuler des biens matériels à une société où la sobriété permet au plus grand nombre d’avoir droit au bonheur sur une planète préservée, c’est à dire un modèle de société où la Terre est apte à accueillir la survie de l’humanité.

Cette conception de notre avenir, c’est celle des écologistes. C’est d’ailleurs ce qui distingue l’imaginaire de l’écologie politique de toutes les autres offres politiques. C’est aussi ce qui implique que l’écologie politique n’est réductible à aucune autre « idéologie », même si il peut y avoir des convergences possibles.

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Mais revenons-en aux annonces de Nicolas Hulot. Le plan climat tel quil est présenté se découpe en 6 axes :
– rendre irréversible la mise en oeuvre de l’Accord de Paris ;
– améliorer le quotidien des Français-e-s ;
– en finir avec les énergies fossiles et s’engager dans la neutralité carbone ;
– la France, n°1 de l’économie verte avec l’Accord de Paris ;
– encourager le potentiel des écosystèmes et de l’agriculture ;
– intensifier la mobilisation internationale sur la diplomatie climatique.

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Sur le premier axe, rendre irréversible la mise en oeuvre de l’Accord de Paris implique effectivement de faire entrer dans le droit la question climatique. Pascal Canfin et Cécile Duflot avaient proposé de faire entrer la lutte contre le changement climatique dans la Constitution. C’était le sens d’une proposition de loi proposée à l’Assemblée nationale en décembre 2016 par Cécile Duflot. De la même façon que « le principe de précaution » a été introduit dans la Constitution par Jacques Chirac, l’introduction dans la Constitution de l’impératif climatique serait une mesure à la fois concrète et symbolique facilitant l’irréversibilité de la lutte contre le changement climatique. Cette proposition n’a hélas pas été retenue. Non plus que l’instauration d’une responsabilité objective quant à l’application du principe de précaution, ce qui éviterait ainsi à des victimes précaires de se retrouver sans bouclier de protection face aux pollueurs. D’une manière plus générale, la loi est l’un des leviers qui permet d’imposer de nouvelles pratiques de façon immédiate et concrète. Aucune annonce précise de modifications législatives n’a été faite. C’est pourtant le premier pouvoir dont dispose une nouvelle majorité.

La création d’une « Assemblée du futur », par l’évolution du Conseil économique social et environnemental (CESE) est une piste intéressante. Mais si cette assemblée ne devait pas avoir de pouvoir législatif, alors elle ne sera qu’une assemblée consultative dont l’amélioration du fonctionnement peut être utile mais aura à court terme peu d’impact sur les lois. De la même façon, il est vital de « mobiliser la société », en facilitant le rôle d’acteurs de la société civile. Mais il convient de structurer de façon pérenne les réseaux qui existent déjà dont la massification de l’action doit être garantie par des engagements pluriannuels.

L’un des moyens d’être concret est aussi de légiférer pour sanctuariser les espaces naturels et agricoles qui constituent d’une part des « puits de carbone » et limitent d’autre part l’étalement urbain qui augmente les déplacements et donc les émissions de gaz à effet de serre. Or on constate aujourd’hui que la prédation sur les sols par l’urbanisation qui conduit à l’artificialisation de l’équivalent de la surface d’un département tous les 7 ans en France constitue une menace non seulement pour la biodiversité mais aussi pour le climat.

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Sur le second axe, et l’amélioration du quotidien des Français-e-s, notons que le lien entre la question environnementale et les préoccupations sociales constituent un des fondamentaux d’une conception pleinement écologiste des enjeux.

Concernant la mobilité, si une aide pour faciliter le remplacement d’un véhicule individuel polluant par un véhicule plus vertueux d’un point de vue écologique est une bonne chose, il convient dans le même temps de veiller à la juste évaluation des pollutions produites par les véhicules, et notamment les voitures. À cet égard, les récents scandales qui visent les constructeurs automobiles, notamment dénoncés par la députée européenne Karima Delli, qui ont menti sur les émissions de leurs moteurs doivent avoir des conséquences en matière de contrôles renforcés de ces constructeurs mais aussi en matière de sanctions. Enfin, quel que soit le modèle de véhicule individuel motorisé, cela représente une dépense très importante pour les foyers dépendant de ce mode de transport. Des investissements doivent être massifiés pour faire évoluer nos déplacements individuels motorisés vers des déplacements collectifs ou doux. Cela passe par la contractualisation avec les territoires du développement de liaisons ferroviaires du quotidien, lignes de tramway, métros ou bus à haut niveau de service. Cela passe aussi par une politique d’accompagnement pour encourager les déplacements à pied ou à vélo pour tous les trajets inférieurs à dix kilomètres. Une réflexion sur l’intégration par les grandes métropoles des enjeux du changement climatique a été menée depuis de nombreuses années, en lien avec les COP, par le sénateur Ronan Dantec. Enfin, pour la voiture, il convient d’en favoriser un usage collectif ou partagé. La véritable « mobilité propre accessible à tous » ne peut pas être centrée sur l’usage individuel de la voiture, que cela soit d’un point de vue écologique ou social.

Dans cet axe, rien n’est dit de la remise en question des infrastructures de transport très coûteuses que les écologistes appellent les « GPII » (grands projets inutiles et imposés) : LGV, autoroutes, aéroport de Notre-Dame des Landes, liaison Lyon-Turin, canal Seine-Nord… Si des déclarations récentes qui remettent en question ces projets sont bienvenues, il faut élaborer rapidement une stratégie globale de modernisation et de sécurisation des réseaux existants, de transfert modal de la route vers les alternatives (pour les voyageurs et pour le fret), de développement des transport du quotidien de proximité dans les zones denses. Concernant plus spécifiquement le fret, une stratégie de modernisation de l’hinterland des ports pour concevoir leur développement de manière non extensives en terme d’espace et afin de favoriser le transport des marchandises de manière alternative à la route doit être élaborée.
La question de la précarité énergétique est maintenant connue et les problématiques identifiées. Nous n’en sommes plus au temps des diagnostiques. Il faut maintenant massifier le financement des travaux en priorisant les logements sociaux et les copropriétés dégradées. La somme de 4 milliards d’euros sur 5 ans annoncée, pour plus de 7 millions de logements ou bâtiments concernés, est notoirement insuffisante. Pourtant le chantier de l’efficacité énergétique a non seulement pour effet de faire gagner du pouvoir d’achat aux foyers via les économies effectuées, mais il crée aussi de l’emploi non délocalisable en fournissant de l’activité aux PME du bâtiment sur les territoires.

Permettre aux foyers qui souhaitent consommer leur propre énergie de pouvoir le faire est une très bonne initiative. Il faut aller plus loin en facilitant l’investissement citoyen en faveur de la production d’énergie renouvelable. C’est par l’investissement citoyen que l’Allemagne a rapidement développé sa production d’énergie d’origine renouvelable. De la même manière, il convient d’accompagner et d’encourager les collectivités locales qui le souhaitent à se lancer dans la production et la distribution d’énergie électrique ou de réseaux de chaleurs via des régies publiques locales. En matière de sobriété énergétique, relocaliser la production énergétique à proximité des lieux de consommation est un enjeu majeur. Une législation relative à la simplification de l’implantation d’unité de production d’énergie renouvelable est donc à prévoir. Celle-ci a jusqu’à présent été largement entravée par les lobbies.

La question de l’économie circulaire est abordée de manière ambitieuse. Elle implique là encore de légiférer sur la conception en amont des biens de consommation en vue de leur réutilisation ou de leur recyclage. De la même manière, la lutte contre l’obsolescence programmée des matériels électroménagers, informatique ou de téléphonie par exemple doit déboucher là encore sur une législation adaptée pour que ce qui est aujourd’hui la norme soit interdit. Le rapport rendu par Pascal Durand au Parlement européen début juillet 2017 va dans ce sens et propose des pistes de réflexion. Quant aux collectivités, elles doivent pouvoir déployer des stratégies zéro-déchet, reposant d’une part sur un financement étatique ainsi que suggéré, mais également sur la sortie de l’incinération (dont les émissions polluantes ont un effet cocktail sur le climat et la santé) et un partenariat avec les acteurs non lucratifs de l’économie circulaire, afin que nos déchets-ressources puissent profiter à toutes et tous et créer de l’emploi. C’est le sens du premier plan local pour l’économie circulaire porté à Paris par Antoinette Guhl. Selon le club de Rome, l’économie circulaire permettrait de réduire de 70% les émissions de gaz à effet de serre en Suède.

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Sur le troisième axe, il est vital de comprendre que depuis la révolution industrielle, notre civilisation est accro aux fossiles : charbon, gaz, pétrole. Ces ressources longtemps très bon marché au regard des services rendus et de leur commodité d’usage ne sont non seulement pas infinies, mais surtout chacun a compris que leur combustion est le principal responsable du changement climatique. Pour maintenir le réchauffement climatique en deçà de la limite des 2 degrés, et idéalement 1,5 degré, il faut laisser dans le sol l’immense majorité de ces ressources. Par ailleurs, notre « temps de réaction » pour stopper nos émissions de gaz à effet de serre est très réduit : trois ans seulement, selon Christiana Figueres, ancienne secrétaire de la Convention des Nations-Unies pour le climat. Il faut donc agir maintenant.

Concernant la production électrique, la proposition qui consiste à sortir du charbon en France est une bonne décision. Il n’y a toutefois plus que 4 centrales à charbon en France. Il faut donc trouver d’autres gisements de carbone à colmater, et interdire progressivement le financement par les entreprises et banques françaises de projet charbon à l’étranger.

L’interdiction de tout nouveau projet d’extraction d’hydrocarbures conventionnels ou non va dans la bonne direction, mais le gouvernement devrait préciser ce qu’il en est des permis d’exploration déjà accordés.

La fiscalité carbone est un moyen qui permet d’entrainer des pratiques moins émettrices dans les différents domaines comme l’industrie et les transport par exemple. Mais les moyens de collecter cette fiscalité restent à préciser car elle a donné lieu par le passé à des effets pervers, des fraudes, voire de la spéculation… Par ailleurs, il n’y a pas eu de communication des montants de cette fiscalité ni du calendrier de la montée graduelle du prix de la tonne de CO2. La convergence de la fiscalité de l’essence avec le diesel est une bonne nouvelle également, elle aura surtout un impact sur les rejets de particules fines liés à la combustion du diesel. Mais là encore, il n’y a pas de précisions sur les échéances. Sur le moyen terme, l’annonce, qui figurait déjà dans le programme d’Emmanuel Macron, de la fin de la vente de voitures disposant d’un moteur à explosion en 2040 doit être accompagnée d’un échéancier et du détail de la stratégie permettant d’atteindre cet objectif. Enfin, il est illusoire de concevoir le remplacement du parc automobile actuel par un parc automobile équivalent dont le fonctionnement serait électrique car cela pose d’autres problèmes environnementaux majeurs (production d’électricité en très forte hausse, stockage, composition des batteries…)

L’objectif global de la neutralité carbone en 2050 implique des mesures très concrètes dès les 5 prochaines années. Il nécessite un plan massif d’économie d’énergie dans le logement, les déplacements, l’agriculture et l’industrie.

Difficile de se faire une idée sur le volontarisme réel sans connaître « la stratégie bas carbone » de la France dont l’annonce est prévue fin 2018 (dans un an et demi!). L’association « Négawatt » a déjà produit un tel scénario. L’ADEME également avec un plan 100% électricité renouvelable en 2050. Ces scénarios remplissent l’objectif sans l’apport du nucléaire. La question nucléaire est un angle mort de la présentation du Plan climat effectué par Nicolas Hulot… Pourtant, il est illusoire que la France puisse mener de front les investissements nécessaires dans l’efficacité énergétique et dans la production d’énergie renouvelable tout en maintenant son tropisme nucléaire. Ce plan doit donc prendre en compte la sortie progressive du nucléaire et la fin des investissements sur de nouveaux réacteurs, ou sur les anciens dont le coût de sécurisation est très élevé pour une fiabilité aléatoire, qui captent les ressources disponibles, qu’elles soient financières ou en matière de recherche et développement, au détriment des énergies renouvelables. La question des réacteurs nucléaires de troisième génération conçus par AREVA, les EPR, est également occultée. Pourtant, l’avenir de l’acteur énergétique historique EDF est aujourd’hui complètement lié à cette technologie peu maîtrisée (délais et coût de construction explosés, défaillances dans la conception et la réalisation des cuves de réacteurs, modèle économique non viable avec un coût de production de mWh bien supérieur à celui du renouvelable). Du point de vu économique, les prévisions du coût du mWh d’origine éolien off-shore est de 50 euros en 2030. Le prix de vente du mWh issu des EPR d’Hinkley Point en Grande-Bretagne à partir de la fin des années 2020 et pour plusieurs décennies est de plus de 100 euros. L’entêtement nucléaire de la France pose non seulement des problème de sécurité et de stockage des déchets, mais aussi hypothèque tout investissement sérieux en direction du renouvelable et ainsi le développement de filières économiques pérennes orientées vers les marchés d’avenir. D’ores et déjà, après la vente d’Alstom et le dépeçage d’AREVA, la France ne dispose plus d’acteur industriel majeur de la production d’éoliennes.

Enfin, il convient aussi de bien définir la manière dont on comptabilise les « puits de carbone » dans l’évaluation globale de ce qui est appelé « la neutralité carbone », c’est à dire ce qui permet de « compenser » les émissions carbones : les forêts ou le captage et stockage de CO2 par exemple.

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Sur le quatrième axe, qui concerne « l’économie verte », il faut d’abord lever l’ambiguïté sur ce terme que l’on nomme aussi parfois « la croissance verte » pour préciser qu’il ne peut y avoir de victoire contre le changement climatique (et pour la préservation de l’environnement en général) en misant exclusivement sur les changements des process. Il y a aussi la nécessité de changer notre relation à ce que l’on nomme « la croissance », comprise comme étant celle du PIB aujourd’hui indexée sur l’usage de carbone. Ce modèle est destructeur pour l’environnement, mais aussi pour l’emploi. Il manque dans le Plan climat présentée la mise en oeuvre et la prise en compte de nouveaux indicateurs de richesse tels qu’Eva Sas en avait développé le concept dans la loi qu’elle a fait adopter en 2015.

Sur le fait d’accueillir des chercheurs, c’est une idée intéressante en s’assurant que cela contribue au renforcement d’un réseau de recherche et d’universités déjà existant dans notre pays. Encore faut-il que le financement de la recherche française soit considérablement augmenté.

La question de la finance verte – et responsable – est évidemment un enjeu de fond pour dé-financiariser notre économie en permettant que les flux financiers soient régulés et orientés vers une économie réelle et soutenable. De ce point de vue, on peut s’interroger sur l’opposition, dans une autre vie, du désormais Président de la République à la séparation entre les banques de guichet et les établissement financiers. De la même façon, il y a un très grand angle mort dans l’intervention de Nicolas Hulot sur la taxation des transaction financières (TTF). Or, il ne peut y avoir de régulation de la financiarisation, et donc de capacité à réorienter la finance de façon réelle, sans cette première étape. Jusqu’à présent, et malgré l’engagement d’Emmanuel Macron devant les ONG il y a quelques semaines, la France fait partie des pays qui bloquent sa mise en oeuvre au niveau européen. Cette position doit évoluer. L’objectif doit être de collecter plusieurs dizaines de milliards d’euros pour alimenter la transition en Europe et dans les pays en voie de développement.

La publicité faites par les investisseurs de critères environnementaux est une mesure intéressante mais qui semble cosmétique car pas au niveau des enjeux dans les délais qui nous sont imposés. Il faut des mesures contraignantes et éventuellement des sanctions. La question de la lutte contre l’évasion fiscale qui prive la collectivité de ressources indispensables au financement de la transition de nos modèles de production et de consommation ne peut pas être éludée. Les travaux d’Eva Joly démontrent la très grande permissivité de l’Union européenne et même la protection dont bénéficient certains grands groupes et États bénéficiant de cette évasion fiscale.

Un grand manque dans cette partie : la réflexion sur les traités de libres échanges (CETA avec le Canada, TAFTA avec les États-Unis, JEFTA avec le Japon, APE avec les pays en développement…). Ces traités de libre échange ne sont pas conçus pour répondre aux enjeux climatiques. Au contraire, la logique économique dont ils répondent vise à favoriser la croissance, sans définition de celle-ci d’un point de vue écologique ou sociale. L’opacité qui entoure les négociations autour de ces traités renforce leur caractère peu compatible avec l’intérêt collectif sans même parler de l’aspect démocratique, comme Yannick Jadot et Danielle Auroi notamment, l’ont mis en lumière. L’interruption de toutes ces négociations, et le passage au crible de ces traités avec des critères revisités autour d’enjeux environnementaux et sociaux débattus publiquement est une décision immédiate qui peut et doit être prise. Autre manque, la mise en place d’un outil financier relatif au « désinvestissement carbone » qui vise à abandonner les investissement dans les domaines de l’exploitation et de l’utilisation des ressources carbone d’origine fossile.

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Le cinquième axe curieusement intitulé « renforcer le potentiel des écosystèmes et de l’agriculture » doit viser à une métamorphose profonde du modèle agricole actuel tel qu’il a été encouragé depuis le milieu du siècle dernier. Accro au pétrole et à ses dérivés chimique, ce modèle entraîne une très grande prédation sur les sols et le vivant pour des rendements de plus en plus fragiles et dont les effets directes et induits sont néfastes à la biodiversité et à l’équilibre des écosystèmes. Il ne faut pas omettre de la réflexion le modèle économique de distribution et de consommation que ce modèle agro-alimentaire implique : sur-emballage, grande-surfaces qui elles-mêmes, par le développement des centres commerciaux en périphérie des agglomérations, accélèrent l’artificialisation des sols, l’étalement urbain et contribuent à augmenter les déplacements motorisés.

Rendez-vous est pris dès juillet 2017 pour des États généraux de l’alimentation. L’initiative est positive. Il conviendra d’évaluer les décisions à l’issue de ses travaux. Mais d’ores et déjà, il est nécessaire d’imposer des clauses de distance parcourue par les aliments ainsi que des critères qualitatifs de production comme le bio dans les marchés publics dans la lignée de l’amendement présenté par Brigitte Allain aux côtés de Joël Labbé et adopté en 2016. La réduction maximum des engrais azotés doit conditionner les aides en faveur des agriculteurs.

Aucune stratégie n’est par ailleurs annoncée pour limiter les émissions de méthane, pourtant 28 fois plus polluants que le dioxyde de carbone, largement issus de l’élevage et de l’agriculture intensives (ou encore de la manière dont il faut protéger les déchets). Diminuer la consommation carnée, par exemple dans les cantines comme dans le 2e arrondissement de Paris avec Jacques Boutault, est non seulement une nécessité pour le bien être animal (sujet sur lequel la députée Laurence Abeille est souvent intervenue), un enjeu de santé publique, mais également un élément majeur de la lutte contre le changement climatique. Or, le poids des lobbies agricoles joue à plein et freine depuis des années la mise en oeuvre de stratégies ambitieuses en la matière.
Le changement du modèle agricole aura aussi un impact sur l’emploi avec l’augmentation du nombre de paysans et favorisera un modèle économique plus viable. Il faut avoir à l’esprit que l’agriculture telle qu’elle est pratiquée fait ses premières victimes chez les agriculteurs : revenus en baisse, surendettement, suicides, maladies professionnels, surmenage, accidents du travail.

L’adaptation au changement climatique doit inclure, outre les secteurs de l’économie, du tourisme et de l’industrie évoqués, la résilience des territoires face aux crues et épisodes climatiques extrêmes, la recherche sur l’évolution de la faunes et de la flore liée aux impacts climatiques nouveaux pour permettre de préserver tant que possible la biodiversité fragilisée par ces évolutions brutales. La protection des littoraux et traits de côte, particulièrement sensibles aux changement climatique, tout comme les massifs montagneux doit être accentuée.

La lutte contre la déforestation est une initiative urgente. Elle doit se décliner par l’interdiction de l’importation de bois issus des forêts tropicales et primaires. Mais également de l’importation et l’usage des produits issus de cette déforestation comme l’huile de palme et le soja. Il s’agit là d’un objectif précis indiqué dans le Plan climat et cela constitue une très grande avancée.

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Le sixième axe qui concerne l’intensification de la mobilisation internationale sur la diplomatie climatique est un enjeu majeur.

Pour ce qui concerne le soutien aux acteurs non gouvernementaux, il est à souhaiter que la mobilisation de ces acteurs et de ses militants ne soient plus entravée par la police comme cela a été le cas en France lors de la COP 21. De ce point de vue, la loi sécurité envisagée, qui intègrerait dans le droit commun des dispositifs de l’état d’urgence pose question. On a assisté ces dernières années à la criminalisation des militant-e-s écologistes qui constituent la dimension citoyenne de l’engagement non-gouvernemental.

L’accompagnement des pays en développement dans la lutte contre le changement climatique via le fond vert est à pérenniser. Il convient aussi d’avancer sur les transferts de technologies et des partenariats de recherche et développement pour permettre aux pays du sud d’accélérer la conversion de leur économie et de leurs activités.

Il manque dans cette partie, ou dans celle relative à l’adaptation au changement climatique, la question spécifique des migrations climatiques qui ont largement commencé mais qui vont hélas s’accentuer. On a constaté la défaillance de l’Europe et de la France dans le domaine de l’accueil des réfugiés. Le phénomène des migrations massives constitue un défi à la fois pour l’appréhender dans les pays ou les zones directement touchées mais aussi dans notre pays et en Europe pour que non seulement l’accueil des réfugiés soit effectué dans des conditions dignes, mais aussi pour mettre à profit ces situations pour en faire des moments de formation et de transmission qui visent à faciliter le retour des populations dans des zones qui sont touchées par une modification profonde du climat et/ou auront été touchées par des conflits.

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En conclusion, si le sens global des annonces du plan climat est positif, on peut regretter des manques dengagements précis, concrets et fixés dans le temps.

Il y a par ailleurs, comme indiqué, des manques importants : la fiscalité (TTF, taxe carbone non précisée, conditionnement du CICE, lutte contre l’évasion fiscale…), la question du nucléaire qui, en France, n’est pas neutre quand on envisage une transition énergétique radicale ; la question de la position de la France vis à vis des traités internationaux – notamment de libre échange – dont on perçoit mal la cohérence avec les objectifs affichés dans ce plan ; la stratégie concernant les grands projets d’infrastructures dont il est dit qu’il seront évalués mais sans précisions sur les choix et les critères ni vers quels types d’infrastructures existantes les moyens disponibles seront transférés.

Les leviers dont dispose l’État dans sa stratégie de lutte contre le changement climatique sont de 3 ordres : fiscal, réglementaire et financier par le biais de l’investissement. Le plan dévoilé n’indique pas la manière dont seront actionnés ces trois leviers, dans quelle proportion ni à quelle échéance.

D’un point de vu diplomatique, Emmanuel Macron a annoncé la tenue d’un sommet en décembre, en France, pour faire suite à la décision de Donald Trump de sortir les États-Unis de l’Accord de Paris qui serait notamment centré sur la question du financement de la transition. Il convient de pouvoir connaître et débattre du mandat de la France dans ce domaine. Car comme écrit plus haut, en la matière, la position du Président est, jusqu’à maintenant, dans le meilleur des cas ambiguë, dans le pire des cas, contradictoire.

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De retour de lespace, Thomas Pesquet témoignait du sentiment de fragilité que renvoie la Terre vue de lespace : bulle de vie perdue au milieu de l’immensité de l’univers. Les découvertes toutes récentes sur Mars montre qu’à la surface de la planète rouge, un cocktail toxique condamne toute forme de vie. Ces découvertes nous montrent, s’il en était besoin, les chemins infiniment périlleux que la nature a dû suivre pour rendre la vie sur terre possible. Plus périlleux encore, celui qui a permis la naissance et le développement de l’humanité. Nous en sommes là. Nous sommes les quelques générations qui par leurs décisions feront en sorte que notre humanité survive ou disparaisse.

La lutte contre le changement climatique est le premier défi que l’espèce humaine dans sa globalité doit relever pour perdurer dans un environnement vivable.

Ce défis exigent des choix. Il apparaît avec force et acuité que l’écologie nest décidément pas un enjeu de communication. Cest un enjeu de civilisation.

Il pleut au Groenland « et en même temps » notre pays envisage de construire un nouvel aéroport à Notre Dame des Landes où les écologistes étaient présent-es ce week-end encore pour rappeler que nos choix doivent être cohérents avec l’ambition que l’on nourrit pour notre avenir. Pour la lutte contre le changement climatique, il n’y a plus de « et en même temps » possibles…

Il y a des choix rapides qui doivent être fait, et la nature ne négocie pas.

Nicolas Hulot a fixé des objectifs. Il a la lourde tâche d’être un écologiste dans un gouvernement qui ne l’est pas. Nous sommes dans un rapport de bienveillance avec le travail difficile qu’il a entrepris, lucides et sans naïveté sur ses marges de manœuvre, et déterminés à peser avec franchise pour que ce qui devra et pourra être fait pendant ce quinquennat soit le plus ambitieux possible.

David Cormand,
Secrétaire national,
le 8 juillet 2017