Être post croissants… pour ne pas être post humains.

Exposé des motifs

L’expression « POST-CROISSANCE » est utilisée dans le programme Bien Vivre, dans de nombreux documents de motions, de tribunes et de tables rondes au sein d’EÉLV. Cependant, cette expression reste peu explorée et peu explicitée. Encore plus que le terme « écologie », elle renvoie à un imaginaire aussi diversifié que celui de la compréhension des interactions du système économique actuellement à l’œuvre avec l’environnement.

La commission pour une société post-croissance propose au Conseil fédéral d’adopter une motion qui permettra, en définissant l’expression « post-croissance », autant en interne qu’en externe, de comprendre, partager et diffuser la démarche de construction d’une société post-croissance, ainsi que de fédérer au-delà du mouvement autour de ce projet de société.

Définir relève d’un exercice politique de clarification auquel les écologistes ne peuvent plus se soustraire, tellement la sensibilisation du public vis-à-vis des conséquences du système économique (pollutions, maladies, dérèglement du climat, perte de la biodiversité…) et de leur caractère irréversible, est désormais répandue. L’alerte des écologistes sur les conséquences d’un développement économique aveugle et négligent est désormais aussi reprise par les autres partis politiques. Les écologistes doivent désormais dénoncer (à nouveau) les causes, et non seulement les conséquences, afin de proposer une alternative post-croissante, tout en évitant les pièges du greenwashing.

PIB, croissance et prix : quand les conventions masquent la prédation

Le terme « croissance » dans un contexte économique, se réfère toujours à la croissance du PIB, qui se calcule annuellement. Le PIB est la somme des valeurs ajoutées. La valeur ajoutée résulte de la valeur de la production (biens et services) diminuée des consommations intermédiaires. Pendant les Trente Glorieuses, le ressort de la croissance s’est réalisé aux deux tiers par l’augmentation de la quantité produite, et donc de la consommation d’énergie par habitant, et un tiers sur les gains de productivité (Gaël Giraud).

Depuis les chocs pétroliers, l’augmentation de la consommation d’énergie par habitant.e ralentit. Elle est stable en France depuis vingt ans. Les ressources s’épuisent. La croissance, impérative, ne peut donc plus se réaliser que sur les gains de productivité, donc au détriment de la justice sociale. D’où les drames actuels du burnout pour ceux et celles qui travaillent, le démantèlement progressif mais inexorable des protections sociales et l’augmentation structurelle du chômage. Tout cela pour aller chercher moins de 1% de croissance. C’est tout le drame du système social du productivisme : la fameuse redistribution de la richesse est tributaire de la prédation des ressources.

Au-delà du problème bien identifié des conséquences sociales et environnementales d’un système économique fondé sur la recherche de croissance, générateur structurel d’ « incrémentations cumulatives », le calcul lui-même de la croissance est problématique, voire contestable. Car finalement l’ensemble des quantifications repose sur le calcul de la valeur ajoutée et du coût de revient, théoriquement formé par le coût des matières premières, de la « main d’œuvre » et des coûts fixes. Mais ce coût de revient, tel que défini notamment par David Ricardo, ne comprend pas les pertes et dommages irréversibles causés à l’environnement et au vivant, appelés « externalités négatives ». Il en va ainsi de tous les prix, qui reposent sur une convention commode qui est celle de prendre seulement en compte une partie des coûts. Or cela entraîne tout un système d’évaluation qui, tout en permettant un enrichissement réel, est fondé sur des calculs partiels considérés comme complets et dangereusement déconnecté de la réalité de notre situation sur la planète.

Si l’évaluation de la croissance est contestable, les conséquences sont, elles, bien réelles. « Post » pourquoi ? Car le système connu depuis les révolutions industrielles peut être considéré rétrospectivement comme une anomalie dans l’Histoire, qui porte les germes de son propre effondrement. Kenneth Boulding a eu la formule fameuse « celui qui croit qu’une croissance infinie peut continuer indéfiniment dans un monde fini est un fou ou un économiste ». En prendre acte ne suffit plus. « Post » signifie donc bien le passage d’un système à un autre et non la gestion d’un monde sans croissance avec les mêmes règles, toujours fondées sur la recherche de croissance.

Pour les pays sur-consommateurs, dont la France fait partie, il est nécessaire d’opérer un changement radical des modes de production et de consommation, donc des habitudes individuelles et collectives, afin de ne plus imposer une empreinte écologique irréparable. Dans les termes et les concepts du système économique actuel, cela revient à dire qu’il devra y avoir une phase de décroissance pour retrouver un équilibre dynamique.

Débats et conséquences du basculement de paradigme

Quand l’écologie politique énonce que la croissance ne peut être illimitée dans un monde fini, elle remet en question la règle principale qui régit l’activité économique, mais aussi toute la forme de notre société actuelle.

Trois grands débats liés au changement de paradigme traversent actuellement notre société. Le choix de la post-croissance entraîne le choix d’une réponse précise au sein de ces débats.

  1. Croissance-énergie-matériaux : couplés ou découplés ?

Le découplage, qui n’a jamais été démontré dans les faits, procède de l’intention de préserver le système croissantiste tout en répondant aux inquiétudes liées au dérèglement climatique. Choisir la post-croissance c’est donc affirmer que la croissance ne peut se réaliser sans consommation de matériaux et d’énergie non renouvelables. La « dématérialisation » est une illusion. L’avenir tracé par Jérémy Rifkin des « smart cities » connectées 100 %, de la robotisation intelligente et des drones qui remplacent l’emploi, se heurte au mur des ressources et au dérèglement climatique. Les data-centers représentent aujourd’hui une des premières sources d’émission de gaz à effet de serre du monde.

  1. Le prix de la nature : solution ou accélérateur de destruction ?

Ce qui n’a pas de prix n’aurait pas de valeur. D’où l’idée de donner un prix à la Nature, à l’ensemble du vivant et d’étendre le champ d’application du marché… pour aller chercher des gisements de croissance. La Loi Biodiversité de 2016 consacre les mécanismes de compensation financière de la destruction de la Nature.

Au-delà de la dérive intellectuelle qui consiste à assimiler valeur intrinsèque et valeur monétaire, le raisonnement financier perd de sa consistance quand on sait que la création monétaire est illimitée et qu’il y aura donc toujours un acteur capable de payer quel que soit le niveau de compensation fixé.

  1. Peut-on « Réguler le capitalisme » ?

Le capitalisme ne comprend pas la notion de limite. Il se définit à travers la croissance du capital obtenue à travers des règles de calcul conçues à cet effet. Le capital peut croître à travers l’augmentation du volume d’activité, notamment par l’agrandissement du marché, d’où l’inéluctable mondialisation des échanges, par l’augmentation de la productivité, d’où le démantèlement des normes sociales et la grande résistance aux normes environnementales, et par l’augmentation des quantités produites, d’où l’épuisement des ressources et la dépendance à l’énergie fossile.

Si par « réguler le capitalisme » on comprend la période dite le New Deal de Roosevelt, où la finance était encadrée et où il y avait un revenu minimum et un revenu maximum, il faut alors compléter en précisant que la croissance s’est réalisée en produisant une quantité jamais atteinte jusqu’à alors d’équipements des ménages jusqu’à épuisement des gisements les plus rentables de pétrole. La régulation complète, c’est-à-dire sur les trois versants de la création de croissance que sont la mondialisation, la productivité et l’augmentation de la production (en volume et en produits dits innovants), entraîne un changement de nature du système capitaliste et ne peut donc plus s’appeler « régulation », mais bien « transformation ».

Rappel de la motion pour la création d’une commission EÉLV sur la société post-croissance :

Ce changement de paradigme a des impacts si profonds qu’il est nécessaire de reconstruire une nouvelle vision de la société. Notre réflexion doit dépasser ce qui serait une liste de rustines que l’on tente d’apposer à un modèle en fin de course, pour devenir une proposition véritablement systémique.

En effet, les caractéristiques d’une société post-croissance sont aussi variées qu’inédites et doivent être étudiées et débattues au sein de notre parti qui porte ce projet de société, et au-delà. Les conséquences de la post-croissance sont très nombreuses. On peut citer, en particulier, les interrogations que cela pose :

  • Écologiques et démocratiques : les limites et les rythmes de la Nature imposent une régulation démocratique de la consommation. Un partage équitable entre les personnes qui partagent un même bien commun demande une refondation de la décision politique. Le pacifisme prend tout son sens dans des sociétés qui ne jouent plus la concurrence entre les nations.
  • Sociales : une société post-croissance ne sera viable que dans un cadre d’entraide et non de compétition, et si elle permet à chacun d’avoir sa juste part. Le bénévolat et la gratuité jouent un rôle nouveau.
  • Économiques : il s’agit d’imaginer une économie écologiste, par nature non productiviste, basée sur les ressources renouvelables et la relocalisation.
  • Énergétiques : l’utilisation incontrôlée de sources d’énergies fossiles ou fissiles est remplacée par la sobriété dans la consommation d’énergies renouvelables. L’impossible découplage énergie-croissance joue pleinement.
  • Financières : plus d’intérêt financier, plus de spéculation. L’argent devient un moyen, un bien commun, et non une fin, comme l’illustrent les monnaies locales.
  • Territoriales et agricoles : l’organisation territoriale, calquée sur la concentration vers des métropoles de plus en plus grandes et des territoires « oubliés » n’est plus adaptée. Les « Territoires en transition » dessinent un autre aménagement du territoire, grâce, notamment, aux outils qu’offre la permaculture.

Motion

EÉLV se réfère depuis des années au terme de « décroissance de l’empreinte écologique ». Le terme de post croissance (en particulier dans notre programme bien vivre) mérite d’être précisé pour nourrir notre projet de société.

Le Conseil fédéral constate l’incompatibilité entre l’accroissement illimité du capital et la survie de l’écosystème ayant permis l’émergence du vivant.

Par « post-croissance », Il entend un projet de société à construire, qui se distingue du système actuel fondé sur la recherche illimitée de croissance du PIB, par un nouveau système fondé sur la recherche démocratique et non financière de la correspondance entre l’activité humaine et les limites de régénération de la Nature.

Choisir la post-croissance c’est donc :

  • Constater que la croissance du Pib ne peut se réaliser sans consommation de matériaux et d’énergie non renouvelables
  • Affirmer que le marché ne peut s’étendre à l’ensemble du vivant,
  • Assumer de changer la nature même du système économique actuel avec de nouvelles normes économiques, dans un partage équitable des biens communs : la proximité, la dé marchandisation du temps et l’intégration des rythmes de régénération de la nature dans la production et les besoins de tou-te-s les humain-e-s.

Le débat continue pour avancer dans la proposition d’une société post-croissance fondée sur la justice, la démocratie et l’écologie.

 

Pour : 41 ; contre : 8 ; blancs : 22 ; Nppv : 2
Motion adoptée

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