1. Denis Baupin, vous êtes rapporteur à l’Assemblée Nationale d’une « commission d’enquête relative aux coûts passés, présents et futurs de la filière nucléaire, à la durée d’exploitation des réacteurs et à divers aspects économiques et financiers de la production et de la commercialisation de l’électricité nucléaire ». Une commission d’enquête parlementaire cela renvoie à des sujets sulfureux : pourquoi a-t-elle été mise en place, quel est son objectif et comment fonctionne t elle ?

Cette commission d’enquête a été créée à l’initiative du groupe des députés écologistes. Alors que s’élabore le projet de loi sur la transition énergétique et que les parlementaires sont amenés à définir la stratégie énergétique  de la France, cette commission d’enquête a vocation à faire toute la transparence sur le coût du nucléaire et à rétablir la vérité des prix. L’idée est parfois avancée que la France pourrait s’exonérer de la transition énergétique en se contentant de prolonger la durée de vie d’un parc nucléaire « amorti ». Or s’il est indéniable que la transition énergétique a un coût (il serait stupide de prétendre l’inverse) la non transition a aussi un coût… et il est sans doute au moins aussi important. La commission d’enquête est composée de 30 membres représentant l’ensemble des partis politiques.  Je suis à la fois rapporteur …et le seul député écologiste. Depuis début 2014 la commission mène ses travaux à un rythme soutenu. L’ensemble de la filière est examiné sous le prisme du coût : combustible, fonctionnement des centrales, investissements, prolongation, renouvellement, déchets, démantèlement, accident…Dans le cadre d’auditions et lors de visites sur site (La Hague, Flamanville, Tricastin, Marcoule, Fessenheim), tous les acteurs –les opérateurs Edf et Areva, les organes de contrôle et d’expertises, des experts de tous bords, des ong, des sous-traitants, des syndicats, des financiers, des assureurs, etc. – sont entendus de façon contradictoire. Confronter –en direct- les opinions est riche d’enseignements. Ces auditions (sauf rares exceptions) sont publiques, les personnes auditionnées prêtent serment et tout est accessible en vidéos sur le site de l’Assemblée.

2. Les travaux de la commission ont-ils déjà permis d’obtenir des résultats intermédiaires et si oui lesquels ? Changent-ils quelque chose à l’approche du sujet ?

Elle a déjà été l’occasion de mettre sur la table des chiffres dont tout le monde n’avait pas conscience et dont l’ampleur donne un peu le tournis. J’ai pu ainsi confronter lors d’une audition le numéro 2 d’EDF à un document (un graphique qu’EDF avait  produit mais qui avait visiblement pour vocation à rester interne) très explicite sur les coûts de la remise à niveau du parc existant pour un fonctionnement jusqu’à 40 ans, mais également sur les coûts de la construction d’un nouveau parc. Pour ce qui est de la remise à niveau du parc existant (travaux désignés sous l’appellation « grand carénage ») on a pu constater que le chiffre avancé par EDF (55 milliards d’investissement) est très largement sous-estimé. Au vu de cette courbe, le coût serait au minimum de 75 milliards, sachant que l’on ne connait toujours pas les opérations réelles qui sont inclues dans ce grand carénage. L’Autorité de Sûreté Nucléaire (ASN) elle-même reconnait ne pas en avoir connaissance. Et, il est important de le souligner, cela ne couvre pas les investissements qui seraient nécessaires en cas de prolongation des centrales au-delà de 40 ans (pour autant que l’ASN l’autorise). Tout cela rend évidemment hypothétique la rentabilité d’une éventuelle prolongation de ce parc prétendu amorti (sans oublier évidemment le risque généré par une installation prolongée au-delà de sa limite d’âge). Quant à la construction d’un nouveau parc composé d’EPR, même si l’on prend l’hypothèse plus qu’optimiste d’EDF (6,5 milliards d’euros pièce) on arrive à environ 250 milliards d’investissement ! Bref, ces chiffres mettent un point final au discours trop souvent entendu jusque-là que la poursuite du nucléaire serait soit gratuite soit bon marché. C’est une grande avancée de cette commission.

Autre moment clé de cette commission d’enquête : lorsque le directeur général de la Dgec, bras armé du ministère de l’Energie, a pour la première fois  et très officiellement évoqué la possibilité de ne pas avoir « besoin » d’un nombre important de réacteurs nucléaires à l’horizon 2025. Un tabou a été levé pour la 1ère fois par un représentant officiel de l’Etat intervenant sous serment. Il a ainsi parlé de la fermeture d’une «  vingtaine de réacteurs » dans l’hypothèse d’une baisse de la part du nucléaire dans la production électrique de 75 % à 50 % en 2025. Cette déclaration émanant du responsable du service en charge de la rédaction de la loi a mis définitivement un point final au conte pour enfants attribué au PDG d’EDF selon lequel, avec l’augmentation de la consommation d’électricité, on pourrait atteindre les 50% sans fermer de réacteurs. Notons que l’évaluation faite valide très largement celle inscrite dans l’accord passé entre Eelv et le Parti Socialiste en 2011.

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3. Que reste t il à faire à cette Commission ? Ses conclusions  peuvent elles influencer la future loi de transition énergétique ?

La commission doit rendre son rapport avant le 11 juin. Nous avons encore une série d’auditions à mener et notamment celle d’Henri Proglio PDG d’EDF, de Luc Oursel , PDG d’Areva et de la ministre de l’écologie. Nous allons également nous rendre à Fessenheim.  Bien entendu il va falloir s’atteler à la rédaction du rapport et – c’est évidemment mon objectif – à son adoption. Ce rapport sera basé sur des faits objectifs, précis, vérifiables, incontestables, pour encore une fois que chacun puisse s’en saisir et décider en connaissance de cause. Je préfère le préciser par avance : ce ne sera pas un plaidoyer pour ou contre une sortie du nucléaire, ou pour tel ou tel scénario énergétique : ce n’est pas l’objet. Mais ce sera un outil d’aide à la décision. J’ajoute qu’à notre demande, parallèlement au rapport de la commission d’enquête, la Cour des Comptes va produire une mise à jour de son rapport de 2012 sur les coûts du nucléaire et que la Commission de régulation de l’énergie (CRE) devrait également publier son rapport sur les coûts de production … De quoi nourrir les débats lors de l’examen de la loi sur la transition énergétique. . Donc, oui, je l’espère, tout ce travail est susceptible d’influencer la loi et plus généralement la façon dont va être perçue, et dont va être portée la transition énergétique en France. Jamais  le nucléaire –malgré son poids prépondérant dans notre mix énergétique- n’a fait l’objet d’une telle mise en débat publique. Jusqu’alors, très peu de monde, notamment chez les parlementaires, s’était intéressé à ces questions ce qui a laissé tout le champ libre au lobby et à la technostructure. Tout ce qui était dissonant était qualifié d’idéologique (et ceux qui auront regardé les vidéos pourront voir que ce vieux réflexe reste très présent chez certains collègues en mal d’argumentaire). La traduction de ces avancées dans la loi dépendra notamment de notre rapport de force politique, mais aussi de nos choix stratégiques. Mais il ne pourra en tous cas pas être dit que nous n’avons pas fait tout ce qui était en notre pouvoir pour que la transparence soit faite sur le coût réel de l’électricité nucléaire.