CONSEIL FEDERAL – 22 & 23 septembre 2012

Exposé des motifs :

L’Europe face à la crise : « trop peu, trop tard »

Le monde n’est pas sorti de la crise ré-ouverte, en 2007, par l’effondrement du crédit hypothécaire américain. Cette « crise », d’une violence et d’une ampleur telles que le capitalisme n’en avait pas connues depuis 1929, n’est pourtant pas strictement d’origine financière. Elle est, plus profondément, née de l’épuisement d’un système économique devenu incapable de générer de la croissance pour cause de ressources naturelles plus rares, de tensions sur les prix énergétiques, de dérèglements climatiques, trop longtemps ignorés.

Quatre ans après, les conditions qui ont présidé à l’effondrement initial sont toujours là. Et les idées qui l’ont provoquée semblent plus fortes encore.

Elles ont présidé à l’établissement des « plans de sauvetage », quand l’argent public est venu secourir les folies privées. Elles ont inspiré une trentaine de sommets européens, chaque fois présentés comme « de la dernière chance », et chaque fois débouchant que sur des mesures maigres et tardives. Les dirigeants européens continuent de suivre les dogmes néolibéraux et productivistes, persuadés qu’on ne sortira de la crise que par les idées qui l’ont provoquée.

Aucun sommet n’a enrayé le cycle récessif amorcé en Europe. Pire : ils ont aggravé le mal, contractant l’activité, alourdissant les dettes publiques par le soulagement des errements bancaires, entraînant dans des situations de précarité jusqu’alors inimaginables en Europe des millions de citoyens de l’Union.

L’Europe telle qu’elle est menace de tuer l’idée européenne elle-même

Ce qui, il y a encore deux ans, eût paru inconcevable se discute désormais à voix haute. Ainsi de l’hypothèse de sortie de la zone euro, comme si la sortie d’un seul ne signifiait pas le risque, lourd, d’un effondrement monétaire et économique de toute la zone. Les opinions publiques hier favorables à la construction européenne s’en détournent, particulièrement dans les économies les plus prospères de l’Union, caressent l’idée de faire sécession, aspirant à ne « plus payer pour les autres », accusées de profiter en « passagers clandestins » de la solidarité européenne.

Ce n’est pas seulement un ensemble d’institutions qui est fragilisé, mais le coeur même de la construction européenne, ce désir commun des peuples européens à parfaire leur union, qui est touché.

Les écologistes, militants historiques d’une Europe politique, fédérale et démocratique, au service de ses citoyens et de l’idéal universel de coopération et de solidarité entre les peuples, ne peuvent être qu’inquiets de cette plus grande fragilité de l’idée européenne.

Car, et le redire est essentiel, il n’y aura de véritable « sortie de crise » que par davantage d’Europe. Mais si l’on veut convaincre, il s’agira, tant a grandi la défiance vis-à-vis de l’idée européenne elle-même, de préciser quelle Europe nous proposons.

Les écologistes ne doivent pas cesser d’expliquer, dans le débat français comme dans le débat européen, que la crise, désormais systémique, n’est pas seulement une crise de la dépense, a fortiori publique, mais une crise des recettes – amoindries par des choix fiscaux qui ont aggravé les inégalités – et une crise des ressources – et en premier lieu des ressources énergétiques, dont les coûts ne cesseront d’augmenter à mesure de l’épuisement de leurs stocks, fragilisant encore un peu plus le modèle économique productiviste que les dirigeants européens persistent à vouloir sauver.

Le traité de stabilité, de cohérence et de gouvernance (TSCG)

Depuis 2009, l’Europe ne parvient pas à sortir de la crise. La Grèce a perdu 18% de sa richesse nationale annuelle, l’Irlande 9%, le Portugal, 6,5%. A l’exception de l’Allemagne, le chômage y a partout explosé. Et malgré des purges de plus en plus sévères dans les budgets nationaux, les dettes et les lourds déficits budgétaires sont toujours là.

Dans sa « déclaration de Paris », le 18 novembre 2011, le Parti Vert européen (PVE) rappelait quatre faits cruciaux :

• « Les politiques simultanées et coordonnées d’austérité comme unique réponse politique ne peuvent que conduire l’Europe vers une récession économique qui fera empirer le problème de la dette souveraine plutôt que de le résoudre.

• Dans le système actuel, la Grèce est insolvable et se trouve au coeur d’une récession profonde depuis plusieurs années, et sa dette publique ne sera donc jamais remboursée entièrement.

• Aucune union monétaire n’est soutenable sans une union fiscale et politique forte ; la coordination ne peut pas remplacer réellement l’intégration.

• Les finances publiques insoutenables, ou le manque de compétitivité, ne sont pas la principale cause de la crise que nous éprouvons : au coeur du problème se trouve l’augmentation mondiale des inégalités de salaire et de richesse dans les dernières décennies, ainsi qu’un secteur financier trop étendu et trop puissant, accoutumé à la dette et la spéculation, bénéficiant de garanties publiques implicites et explicites. Ceci a mené à une croissance insoutenable du crédit et à l’accumulation des risques. »

Pour les écologistes donc, qui n’ont pas varié sur ce point depuis l’adoption du texte, le TSCG est, comme seule réponse, un traité inadapté et facteur potentiel d’aggravation des troubles.

L’objectif premier du TSCG est, aux termes de son article 3, d’inscrire « une règle d’équilibre budgétaire au sommet de la hiérarchie des normes des États signataires et de l’assortir de mécanismes contraignants d’application » (note de l’Assemblée Nationale, service des Affaires européennes). Cette obligation figure toujours dans le texte du traité, qui n’a pas varié dans son contenu depuis son adoption, en mars dernier, par les 25 États de l’Union qui l’ont approuvé. La ratification conduirait donc la France à transposer dans sa législation nationale l’obligation d’un « déficit structurel » annuel – c’est-à-dire corrigé des effets de conjoncture économique, même si la définition reste imprécise – inférieur à 0,5% du PIB.

En d’autres termes, le TSCG assigne aux États, par des procédures de contrôle – échappant du reste aux représentants élus par les citoyens européens – d’obligations budgétaires drastiques, restreignant très défavorablement la possibilité de politiques économiques contra-cycliques de relance.

Le problème que pose le TSCG n’est donc pas strictement d’ordre règlementaire ou juridique. Il est, tout autant, économique et politique.

Le débat qui traverse le mouvement écologiste le montre : l’examen de la situation ouverte par la présentation simultanée du TSCG et du « paquet européen » devant le Parlement français peut amener in fine à des analyses divergentes, selon que l’on porte prioritairement attention à la philosophie économique qui sous-tend le traité – et que les écologistes contestent – ou que l’on s’attache en premier lieu à sa portée et son contexte politiques, et qu’on imagine le traité applicable ou non.

Le « pacte de croissance » et le compromis de Bruxelles

Si, en effet, le TSCG n’a pas pu être « renégocié », il lui a été adjoint un ensemble de dispositions, négociées à Bruxelles les 28 et 29 juin dernier, notablement différentes dans leur esprit de celles constituant le TSCG.

En premier lieu, le pacte dit « de croissance » ou plan d’investissement européen, soutenu lors de la campagne présidentielle et depuis, par François Hollande. Si ce pacte demeure, à ce stade, très loin – quantitativement et qualitativement – de ce qui serait nécessaire pour envisager un « New Green Deal », seule voie crédible de sortie de crise, il constitue néanmoins une inflexion de la logique exclusive d’austérité qui prévalait jusqu’ici. Au regard du rapport de forces européen, où les gouvernements conservateurs sont très nettement majoritaires, ce compromis peut être salué comme une avancée, sous cette condition du moins qu’il permette d’en construire d’autres prochaines.

Les engagements relatifs à la supervision bancaire et à la mise en place d’une taxe sur les transactions financières (TFF) peuvent, eux aussi, être légitimement considérés par les écologistes, très actifs de longue date sur ces questions, comme des éléments positifs.

A elles seules, ces avancées sont insuffisantes. L’inflexibilité constatée sur la mutualisation des dettes publiques européennes et sur l’évolution des statuts de la BCE ; le dimensionnement budgétaire très faible, et du reste encore incertain, du pacte de croissance ; les critères d’activation très restrictifs du FESF et du MES ; la persistance de mécaniques institutionnelles intergouvernementales ; les difficultés à renforcer les ressources propres de l’Union et, au surplus, l’absence à peu près totale de vision de ce que pourrait être un modèle économique de développement soutenable pour l’Europe, tout cela conduit à tempérer la portée des avancées obtenues.

A ce stade, elles ne permettent pas de progrès significatif vers davantage d’intégration fédérale européenne, davantage de solidarité et de démocratie portées par les institutions européennes. Elles ne constituent pas, en l’état, une réponse valable et durable ni à la crise d’un modèle économique facteur de troubles et d’instabilité ni au déficit démocratique européen. L’Europe souffre de ne pas s’être dotée de structures de solidarité fortes et, ajoutons-nous comme écologistes, fédérales et démocratiquement contrôlées.

La seule certitude tient à ce que les principes du TSCG, dont on peut s’interroger sur l’applicabilité, imposerait aux États membres de la zone euro une rigueur drastique sans vision d’avenir. Enfin, les écologistes ne sauraient se désintéresser, dans leur examen, de la situation qui pourrait résulter, en Europe, d’un refus par la France de la ratification du TSCG. Si les seules voix des parlementaires écologistes ne pourront de toute façon empêcher celle-ci, Europe Écologie – Les Verts entend se positionner non en fonction de l’arithmétique parlementaire nationale, mais bien au regard des questions posées à l’Europe à ce moment de son histoire. C’est donc sur la base d’un examen du TSCG lui-même, de l’ensemble des dispositions soumises à l’approbation du Parlement français et sur le contexte, les dynamiques et les contradictions aujourd’hui à l’oeuvre en Europe.

Au delà du TSCG, les écologistes travaillent à faire progresser une Europe fédérale, en accord avec les orientations générales portées par le Parti Vert européen, notamment dans sa « Déclaration de Paris » du 18 novembre 2011.

Dans les prochaines semaines, les écologistes s’attacheront à porter pour l’Europe les réformes suivantes :

• Renforcer la solidarité. Les interventions récentes de la Banque centrale européenne ne peuvent se substituer à la responsabilité des États. Les euro-obligations, pour mutualiser les dettes nationales et contrer les marchés, sont indispensables. La solidarité doit aussi trouver une déclinaison beaucoup plus sociale. En plus des fonds structurels, nous soutenons la proposition de créer rapidement un fonds européen d’assurance chômage qui permette d’intervenir en urgence dans des pays où, comme en Grèce aujourd’hui, les citoyens sont confrontés à la disparition de tout modèle social ;

• Engager la transition écologique de l’économie. L’Europe a un besoin urgent d’investissements qui préparent l’avenir. Le pacte de relance impulsé par le Président Hollande est un premier pas, mais nous restons loin d’un « New Green Deal ». Certes la France a des capacités d’investissement, en supprimant notamment les milliards d’euros de niches fiscales anti-écologiques ou en réorientant les fonds publics vers des investissements utiles : des tramways, des crèches, des services publics plutôt que des infrastructures inutiles, des aéroports ou des missiles à tête nucléaire… C’est néanmoins à l’échelle européenne que peuvent se structurer de grands projets d’investissement dans les renouvelables, le bâtiment ou les transports ;

• Fédéraliser le budget européen. il est impératif de trouver de nouvelles recettes au budget européen qui s’ajoutent (et non se soustraient) à la participation des États. La taxe sur les transactions financières est un premier pas significatif mais insuffisant, et nous demandons donc son élargissement et la mise en place d’une contribution climat énergie européenne. Enfin, nous soutenons la proposition de Mario Monti de sortir les investissements d’avenir du calcul des déficits ;

• Démocratiser l’Europe. Les Européens ont le sentiment que l’Europe se fait sans eux ou contre eux. Nous devons construire une Europe parlementaire, avec une souveraineté partagée entre les parlements nationaux et le parlement européen. Dans l’immédiat, nous proposons qu’en amont de chaque Conseil européen, le gouvernement français présente devant les assemblées les positions qu’il va y défendre. Pour 2014, les écologistes proposeront que la ou le prochain président de la Commission européenne soit issu des élections européennes. Ainsi, la Commission deviendra-t-elle une instance politique comptable devant des représentants élus.

Cette Europe ne se fera pas en un jour, mais certaines réformes, sur lesquelles une majorité européenne peut être trouvée, peuvent intervenir rapidement et positivement en réponse à la crise actuelle.

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Motion :

Le Conseil Fédéral d’EELV :

– Se prononce contre la ratification du TSCG, dont une lecture stricte ne répondra pas durablement aux crises auxquelles est aujourd’hui confrontée l’Union européenne et constitue un obstacle à la transition écologique ;

– exprime le voeu que dans la préparation du budget 2013, l’objectif de réduction du déficit budgétaire à 3% soit différé ;

– soutient les mouvements sociaux européens de lutte contre l’austérité, en particulier l’alter Summit et les mobilisations appelées par la confédération européenne des syndicats.

– mandate le Bureau exécutif pour engager des discussions avec le gouvernement et les autres formations politiques de la majorité pour déterminer avec elles un nouvel agenda européen de la France, dans le respect des propositions écologistes, visant à poursuivre et amplifier la réorientation de l’Union européenne. Le Bureau exécutif devra agir dans le cadre des orientations adoptées, en 2011, par le Parti Vert Européen.

– recommande aux parlementaires écologistes :

– de soutenir ces positions lors des débats et des votes au Parlement ;

– de contribuer à éclairer le débat européen en diffusant le texte du TSCG ainsi que les analyses que les écologistes en font, et en organisant dans les euro régions et les circonscriptions des débats publics très largement ouverts sur l’avenir de l’Europe.

Pour : 77 ;

Contre : 24 ;

blancs : 8

Adoptée à 70,64 % des exprimés.