> Tribune publiée sur le blog de Mediapart

Mercredi 17 octobre, une  manifestation a été organisée sur les marches du parvis des droits de l’Homme à Paris dans le cadre de la journée mondiale du refus de la misère, revenant sur la victoire des paysans indiens, qui ont lutté contre l’accaparement de leurs terres par les «grandes firmes». Karima Delli, eurodéputée EELV, Benjamin Joyeux, responsable de la commission transnationale d’EELV, et Eros Sana, photo-reporter, militant altermondialiste et fondateur de la Zone d’écologie Populaire (ZEP), expliquent pourquoi ils sont allés en Inde les soutenir.


 

Le jeudi 11 octobre, « la grande marche pour la justice » (Jan Satyagraha), organisée en Inde par le mouvement Ekta Parishad, vient de prendre fin après la signature d’un accord avec le gouvernement fédéral indien. Celui-ci vient d’accepter la majeure partie des demandes du mouvement, et de son leader Rajagopal, pour la mise en place de réformes agraires permettant l’accès à la terre et aux ressources naturelles pour l’ensemble des paysans indiens, plus particulièrement les plus marginalisés (Dalits, Adivasis et autres « Intouchables »). Cette marche de 350 km avait débuté à Gwalior le 3 octobre dernier et devait rallier Delhi vingt-six jours plus tard.


La victoire des sans-terre en Inde par EurodeputesEE

Les 2, 3 et 4 octobre derniers, nous avons marché à leurs côtés, car leur combat est également le nôtre, un combat pour la dignité, la justice et la sécurité de tous, en particulier des plus démunis.

Mais en quoi cette action lointaine nous regarde, nous Français parmi les peuples « privilégiés » de la planète ? Car malgré la crise qui sévit actuellement, nous vivons encore en Europe dans une relative prospérité, comparé au mode de vie des Indiens les plus pauvres. En effet, l’action d’Ekta Parishad et le discours de son leader, Rajagopal P.V, résonnent bien au delà des frontières indiennes, des bidonvilles de Bombay aux favelas de Rio, des campagnes désertifiées africaines aux villages chinois oubliés par le développement économique, des quartiers populaires français délaissés par les pouvoirs publics, aux friches industrielles dévastées par le chômage un peu partout en Europe. La vision d’Ekta Parishad, s’inscrivant totalement dans les pas du Mahatma Gandhi, est celle d’une critique radicale de notre modèle de développement globalisé et financiarisé, faisant de l’ensemble de la planète et de ses ressources l’objet d’échanges marchands, au détriment d’une majeure partie de l’Humanité mais aux profits faramineux de quelques grandes firmes multinationales et leur oligarchie de dirigeants et actionnaires.

En Inde, comme ailleurs, on assiste à la réquisition de larges pans de terres et des ressources naturelles au nom de l’industrialisation et du développement. L’appropriation des forêts et des minerais chasse les habitants de leurs terres ancestrales et détruit les cultures tribales ainsi que leurs ressources nourricières. L’extraction de minerais épuise et pollue les sources, ce qui appauvrit l’agriculture et compromet la culture et la survie même des habitants. Les expulsions au profit de projets de grandes infrastructures, comme les grands barrages, provoquent des désastres humanitaires, écologiques et culturels qui augmentent la pauvreté à la fois dans les zones rurales et urbaines. Les populations déplacées vont alors chercher refuge dans des villes déjà surpeuplées, ce qui crée un cercle vicieux. Plus de 165 000 paysans se sont suicidés en Inde depuis 1997 à cause de cette mécanique infernale.

Depuis 1992, Ekta Parishad, à travers la voix de Rajagopal P.V, s‘évertue ainsi à dénoncer ce modèle mortifère. En 2007, le mouvement avait déjà mobilisé plus de 25 000 paysans sans-terres parmi les plus pauvres pour la « Janadesh » – « le jugement du peuple », une marche qui avait duré vingt-sept jours. Les revendications des marcheurs avaient alors été prises en compte sur le papier par le gouvernement, puis jamais mises en œuvre. Rajagopal a donc du reprendre son bâton de pélerin et mobiliser, simultanément aux paysans indiens, des militants du monde entier, anonymes comme plus prestigieux, tel Olivier De Schutter, rapporteur spécial des Nations Unies pour le droit à l’alimentation. Dans un pays où environ 230 millions de personnes n’ont pas accès à la terre, Ekta Parishad veille également plus particulièrement au sort des femmes, encore plus discriminées. C’est pourquoi, par solidarité, nous nous devions, en tant qu’écologistes, et plus particulièrement attachés à la défense d’une écologie populaire, de marcher aux côtés de Rajagopal et d’Ekta Parishad.

Il en va également de notre responsabilité. Car les projets de développement qui pullulent actuellement en Inde, en particulier dans les zones économiques spéciales (ZES), et qui sont responsables du malheur de tous ces paysans, entraînent l’accaparement de terres au profit de projets de développement de grandes firmes indiennes, mais également occidentales, et particulièrement françaises. Un exemple, le géant français du nucléaire Areva, qui à Jaïtapur, dans l’ouest de l’Inde, conduit en ce moment même un projet de construction très controversé de six réacteurs EPR sur une zone sismique. En avril dernier, des manifestants parmi la population locale, dont de nombreux pêcheurs et paysans devant déménager pour laisser la place à la centrale, ont manifesté et se sont fait tirer dessus par la police, faisant un mort. Qu’en sera t’il de la responsabilité d’Areva si, par malheur, une catastrophe nucléaire se produit d’ici quelques années après un séisme, comme à Fukushima? D’autant que l’Inde a déjà connu une des plus grandes catastrophes industrielles de l’histoire, le 3 décembre 1984 à Bhopal, lorsqu’une fuite de gaz létal en provenance d’une usine du géant chimique américain Union Carbide avaient provoqué la mort de dizaines de milliers de personnes. Les firmes occidentales ne peuvent continuer à se servir de territoires et de populations entières tels des cobayes de laboratoire, et partout sur la Planète, il faut donc que les droits humains et la défense de l’environnement priment enfin sur le droit des affaires.

Enfin, un des grands enseignements de la Jan Satyagraha découle de la fameuse maxime de Gandhi: « Sois toi-même le changement que tu veux voir dans le monde ». C’est pourquoi nous sommes rendus en Inde afin d’exprimer tout notre soutien, car chaque être humain a droit à une alimentation saine et à un environnement viable. Que ce message porté par Ekta Parishad se voit aujourd’hui officiellement reconnu par le gouvernement fédéral indien est une excellente nouvelle et une grande victoire pour tous les paysans de la planète. Cela vient renforcer l’ensemble des luttes pour l’accès aux ressources à travers le monde.

Rendez-vous le 17 octobre, sur les marches du parvis des droits de l’Homme, au Trocadéro à Paris, pour la journée mondiale du refus de la misère où les marcheurs français en soutien à la Jan Satyagraha seront également présents.