Tribune de Yannick Jadot et Michèle Rivasi publiée sur Mediapart le 25 mars 2014.

L’adoption du Traité transatlantique « menacerait la protection de la santé en Europe », expliquent Yannick Jadot et Michèle Rivasi, eurodéputés EELV, à la veille de la rencontre à Bruxelles entre Barack Obama et les dirigeants de l’Union européenne. 

Préoccupation majeure des Français, la santé est au cœur des négociations de libre-échange (Tafta ou TTIP) qu’ont engagé les Etats-Unis et l’Union européenne depuis juillet 2013. Après des années de combat pour doter l’Union européenne d’un cadre législatif protecteur en matière de santé, le risque est grand de voir les 28 faire un bond en arrière et ainsi mettre en danger des acquis essentiels.

Rappelons l’urgence de la situation. Malgré les progrès de la médecine, les maladies liées à notre environnement explosent. Les Français perdent 2% de leur fertilité tous les ans, les cancers hormonaux se multiplient, les maladies chroniques frappent un nombre croissant de nos concitoyens. En cause notamment, les pesticides et autres produits chimiques qui envahissent notre quotidien. Tous ces perturbateurs endocriniens, comme les phtalates et le bisphénol A, qui migrent des emballages alimentaires vers nos assiettes, les parabens contenus dans les cosmétiques qui traversent la peau, les résistances aux antibiotiques qui progressent dangereusement, ou encore des résidus médicamenteux qui se mélangent dans l’eau du robinet et dans l’eau en bouteille. Conséquence, des pans entiers de la santé des citoyens se dégradent, le déficit de la sécurité sociale se creuse, et la biodiversité se trouve chaque jour plus attaquée.

Malgré la pression acharnée des lobbys industriels et agricoles, l’Union européenne s’est dotée de l’arsenal juridique le plus protecteur au monde, pour encadrer par exemple la mise sur le marché de ces produits chimiques grâce à la législation Reach adoptée en 2007. Celle-ci oblige ainsi l’industrie à évaluer et à gérer les risques posés par les produits chimiques, et d’en substituer les plus dangereux. Elle a aussi, au nom du principe de précaution et d’une réalité scientifique que trop d’Etats veulent ignorer, lutté bien avant la France contre la pollution de l’air par les particules fines, de l’eau par les nitrates et des terres par les pesticides.

Tous ces efforts pourraient hélas être remis en cause. Car comme pour l’environnement, l’agriculture, les données personnelles ou l’alimentation, l’ambition européenne et certains acquis en matière de santé pourraient être sacrifiés sur l’autel du libre-échange. Déjà, la Commission, qui était tenue d’adopter d’ici fin 2013 les critères d’identification et d’évaluation des perturbateurs endocriniens pour les législations biocides et pesticides, joue la montre. Pour ne pas froisser les lobbies de la chimie, très puissants des deux côtés de l’Atlantique, elle a préféré lancer une évaluation d’impacts économiques préalable à l’élaboration de ces critères. La protection des consommateurs n’est plus une priorité, et l’exigence scientifique est revue à l’aune d’enjeux économiques contestables.

S’il était signé, le Tafta menacerait la protection de la santé en Europe. Les dangers sont multiples. C’est d’abord celui d’une harmonisation par le bas. Aux Etats-Unis, la logique industrielle qui prévaut dans l’agriculture s’appuie sur des modes de production très peu contrôlés, use et abuse des hormones de croissance et autres accélérateurs de croissance pour la viande bovine et porcine et dans l’élevage laitier. L’administration américaine entend bien utiliser le Tafta pour remettre en cause nos principes de précaution et d’évaluation des risques et imposer sa propre logique : tant que le risque n’est pas totalement avéré, le produit peut être mis sur le marché. C’est ensuite le danger de la reconnaissance mutuelle qui permettrait à des produits admis sur un marché d’obtenir un droit d’entrée automatique sur l’autre.

L’agenda américain dans la négociation est très clair : que nos assiettes se remplissent d’OGM, de viande de volaille chlorée ou issue d’animaux clonés, de bœuf aux hormones, que nos rayons se remplissent de produits contenant des molécules chimiques aux effets inconnus sur la santé …C’est la porte ouverte à des produits dont on ignore les dangers, avec les consommateurs dans le rôle de cobayes. C’est enfin le danger, peut-être le plus grave, lié au renforcement totalement aberrant du pouvoir des firmes contre les Etats.

Le Tafta prévoit en effet une nouvelle juridiction supranationale qui contourne les juridictions nationales. Toute entreprise peut y contester la décision d’une collectivité locale, d’un Etat ou de l’Union européenne si elle considère que cette décision remet en cause ses intérêts commerciaux, présents ou à venir, et réclamer des centaines de millions d’euros de dédommagement. C’est ce mécanisme qui permet à Chevron d’attaquer l’Equateur pour échapper à ses obligations de décontamination de l’eau et des terres autour de ses sites pétroliers, alors que les populations locales avaient obtenu un tel nettoyage devant les juridictions nationales. Si le Tafta entrait en vigueur, des fabricants américains de biberons pourraient exiger de la France qu’elle retire son interdiction du bisphénol A, et réclamer des compensations financières !

Ce mécanisme juridique ne menace pas seulement nos choix démocratiques en matière de protection de la santé, de l’environnement ou des salariés. Il constitue une machine infernale contre l’action des Etats au service des citoyens. On imagine mal dans ces conditions l’Union européenne approfondir Reach pour faire face à l’explosion des nouvelles maladies, renforcer la lutte contre la pollution de l’air ou des aliments de peur de devoir payer des milliards d’euros de dédommagements aux multinationales.

Ironie du sort, la négation du principe de précaution pourrait aussi toucher le reste du monde. Par la taille du marché européen, notre régulation influence les pays producteurs de produits chimiques : tout abaissement des normes sanitaires et environnementales dans nos pays consommateurs accroit le danger auxquels sont exposés les citoyens, notamment Chinois et Indiens, principaux employés des multinationales friandes de délocalisation et de dumping social et environnemental, faisant de cet accord un « perdant-perdant » pour tout le monde.

François Hollande a plaidé lors de sa visite aux Etats-Unis pour une accélération des négociations de libre-échange transatlantique, sans même un mot pour les 500 millions de citoyens européens exclus d’une négociation qui se fait sans eux, et le plus souvent contre eux. En juin 2013, il s’était pourtant battu aux côtés du parlement pour exiger de ses partenaires européens l’exclusion de l’audiovisuel et du cinéma des négociations, afin de préserver l’exception culturelle française. Cette exception est toutefois l’arbre qui cache la forêt des renoncements. Quid de l’exception agricole et alimentaire ? Des services publics ? De la santé humaine et environnementale ? Avant qu’il ne soit trop tard, nous l’appelons à rejeter l’ensemble de cet accord. Le choix démocratique d’appliquer le principe de précaution ne peut pas être remis en cause dans le dos des citoyens. Notre santé d’abord !