> tribune publiée dans Libération

En 2007, la Cour des Comptes évaluait à 30 milliards d’euros la somme soustraite au budget de la Nation par l‘évasion fiscale. Cinq ans plus tard, la commission d’enquête du Sénat en a estimé le double : ce sont 60 milliards d’euros, c’est-à-dire l’équivalent des intérêts de la dette de l’État qui partent chaque année au soleil.

Sans évasion fiscale pendant les dix dernières années, la dette de la France serait de 59 % du PIB… conforme donc aux critères de convergence de l’eurozone au lieu des 90 % d’aujourd’hui. À l’heure où l’austérité menace les familles au nom de la réduction des déficits publics et où la transition écologique exige des investissements de long terme dans l’économie réelle, la lutte contre l’évasion fiscale doit être une priorité du législateur. Français comme Européen.

L’ampleur des sommes en jeu implique l’existence d’un montage industriel d’évasion vers les paradis fiscaux (îles Caïman, Philippines… mais aussi Luxembourg, Suisse, Monaco) et donc la complicité nécessaire d’un établissement financier. En 2009, les grandes banques françaises totalisaient 460 filiales dans les paradis fiscaux, et une des plus connues réalisait la moitié de son bénéfice annuel consolidé au Luxembourg.

Les établissements financiers mettent à profit les avantages fiscaux offerts dans les paradis fiscaux pour le compte de leurs clients, grandes fortunes ou grandes entreprises… mais aussi pour leur propre compte. L’accès relativement facile à l’évasion fiscale est la clé de voûte du système financier déréglementé actuel où 97 % des transactions relèvent du marché de la spéculation.

L’opacité du système d’évasion fiscale repose largement sur l’insuffisance des règles de publication financière qui permettent aux banques de déterritorialiser les chiffres d’affaires et les résultats de leurs établissements.

Le projet de loi sur la séparation et la régulation des activités bancaires, en lecture à l’Assemblée nationale à partir du 12 février, est encore insuffisant pour mettre fin à des pratiques aussi répandues que délétères pour la cohésion sociale. La Loi devrait inscrire l’obligation de publier dès l’exercice 2013 dans les comptes annuels des banques les chiffres d’affaires, les effectifs, les résultats nets et les impôts pays par pays. Pour les deux premiers éléments, l’amendement adopté en Commission des Finances le 6 février à l’initiative du Groupe écologiste marque une avancée fondamentale. Il faut aller plus loin pour la publication aussi pays par pays du résultat net et des impôts.

Les tentatives en faveur de la transparence financière ont été nombreuses, mais infructueuses jusqu’à présent. Parmi celles-ci, l’amendement au Projet de loi de finances rectificative 2011 déposé par des sénateurs écologistes et socialistes pour rendre obligatoire la comptabilité pays par pays de tous les établissements bancaires et financiers contractant avec l’État, adopté par le Sénat, avait été rejeté par l’Assemblée nationale.

En juin 2010, le Conseil Régional d’Île-de-France, à l’initiative du groupe EELV, a introduit dans son règlement budgétaire l’exigence de transparence financière de la part de ses partenaires bancaires et financiers. 17 autres Conseils Régionaux ont depuis adopté une disposition similaire. L’expérience a montré que les banques ne jouent pas le jeu. Seule la force de la loi peut les amener à la transparence, condition d’une régulation et d’une réduction de leur activité dans les paradis fiscaux.

La lutte contre les paradis fiscaux, face aux difficultés des citoyens confrontés à l’austérité et au chômage, ne peut plus souffrir de l’alibi du « problème technique » pour publier les comptes pays par pays, invoqué par les avocats des grandes banques. Il est temps d’instaurer par la loi une transparence efficace et démocratique face à l’opacité actuelle des pratiques de la finance.

 

Eric Alauzet, député du Doubs, membre de la Commission des finances, Christelle de Crémiers, membre du Bureau du COP, Jean Desessard, sénateur de Paris, secrétaire du Sénat, Pascal Durand, secrétaire national, Eric Loiselet, membre du Bureau du COP, Philippe Meirieu, président du Conseil fédéral, Jean-Vincent Placé, sénateur de l’Essonne, membre de la Commission des finances, président du Groupe écologiste, Eva Sas, députée de l’Essonne, vice-présidente de la Commission des finances.

Vidéo : Intervention d’Eric Alauzet à l’Assemblée nationale