Ami personnel de Nicolas Hulot, l’avocat Pascal Durand est le successeur pressenti de Cécile Duflot à la tête du parti écologiste (il est pour l’heure le seul candidat), dont il est l’actuel porte-parole. Fils de résistants communistes et ancien compagnon de route de l’extrême gauche dans sa jeunesse, un héritage qu’il assume volontiers, ce soutier de la refondation des Verts en Europe Ecologie en 2008 est depuis un trait d’union permanent. Directeur de la campagne de Hulot lors de la primaire contre Eva Joly, qu’il a ensuite toujours soutenu durant la présidentielle, il est aussi à égale distance entre « proches de Dany » et « proches de Cécile » dans le mouvement écologiste. Quitte à être le seul des dirigeants à ne jamais avoir été candidat au moindre scrutin, souvent sacrifié sur l’autel des équilibres de courants. Pour Mediapart, il dresse le bilan électoral d’Europe Ecologie-Les Verts, et trace les perspectives d’un mouvement écolo jamais autant institutionnalisé.


Après avoir recueilli 16 % et 12 % aux européennes de 2009 et aux régionales de 2010, Europe Ecologie-Les Verts vien
t de réaliser 2,3 % à la présidentielle et 5,4 % aux législatives. Quel bilan faites-vous de la séquence électorale qui s’achève ?

Tout dépend du point de départ que l’on prend pour commenter la courbe. Les régionales et les européennes sont des scrutins très différents, notamment parce qu’ils se déroulent au scrutin proportionnel. L’élection présidentielle est plus difficile pour les écologistes. Mais on ne va pas se le cacher, l’écologie politique n’est pas actuellement dans une phase dynamique de conquête et cela peut aussi, pour partie, expliquer la percée de certains dissidents aux législatives. Nous sommes confrontés à un paradoxe : nous nous situons dans les hautes eaux pour ce qui est de nos responsabilités dans les institutions tant nationales que locales, de la pénétration de nos idées au sein de la société et des autres partis, mais dans des basses eaux en termes électoral et militant, ainsi que sur la prise en compte effective de notre projet global.

Pour peser, l’écologie politique a besoin de l’appui et de la reconnaissance de la société civile, comme la gauche a historiquement besoin d’un mouvement social fort. Nous ne sommes pas assez vus comme étant porteurs d’un projet alternatif crédible, et cela laisse la place au vote utile, voire utilitaire. Mais je remarque que Jean-Luc Mélenchon, qui avait réussi à reconstruire à gauche une espérance pendant la campagne présidentielle, n’a pu conserver cette dynamique intacte aux législatives.

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Que reste-t-il de votre accord avec le PS ? Deux fois moins de députés que prévu, notamment du fait de dissidences socialistes, et peu sur le fond programmatique…
S’agissant du nombre de députés, je propose qu’on attende le résultat du second tour avant de tirer des conclusions. Pour le reste, Il y a d’ores et déjà, à ce stade, la nomination de Cécile Duflot et Pascal Canfin dans des ministères importants, en charge de secteurs essentiels pour les écologistes comme l’aménagement des territoires et le logement, la ville et le développement. Il y a également des prises de position fortes de François Hollande et de Nicole Bricq sur la transition énergétique, une fiscalité écologique et les engagements de la France à Rio+20 sur un nouveau modèle de développement. Nous allons évidemment être attentifs à ce que cela donne au-delà des discours, mais il n’y a aucune raison de faire des procès d’intention, comme nous ne l’avions d’ailleurs pas fait à Nicolas Sarkozy dans les premiers temps du Grenelle de l’environnement.

En dehors de la question programmatique, le but originel de l’accord avec le PS était d’installer une majorité du changement à l’Assemblée nationale, comme au Sénat. Nous défendons depuis toujours une nouvelle république fondée sur une logique parlementaire et non présidentialiste. Un groupe à l’Assemblée, cela permet d’avoir l’initiative des lois, de peser sur l’ordre du jour, d’avoir une prise de parole régulière dans l’hémicycle, de participer à des commissions. Ça n’est pas de la cuisine mais de la démocratie. Disposer d’un groupe autonome, qui ne soit pas noyé dans celui des socialistes, c’est être en capacité politique d’exprimer notre différence et de porter notre projet. C’est cela qui compte. Et au-delà du nombre d’élus, si ce groupe est en position charnière, comme nous le sommes déjà au Sénat ou dans de nombreuses régions, cela renforce notre capacité à être écoutés. Cela est important, car l’hégémonie d’un seul est rarement la marque d’une démocratie efficace.

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Justement, que vous inspirent toutes ces dissidences socialistes, qui ont éliminé beaucoup de vos candidats ?
Le PS en tant que tel a joué le jeu. Ils ont exclu les dissidents, et on a fait des réunions communes très positives localement. J’y ai vu des militants socialistes sincères, contents que l’on fasse campagne ensemble. Mais il y a aussi eu des comportements de coqs de village inadmissibles. Je remarque en passant que sur treize candidates femmes écolos soutenues par le PS, il y a eu onze dissidences masculines… Ces attitudes de petits barons s’expliquent souvent par la défense d’un pré carré et le désir de préparer des échéances futures, telles que les municipales de 2014, sans tenir compte de l’intérêt général, ni du fait que la victoire de François Hollande est le fruit d’un rassemblement qui, nécessairement, va au-delà du seul PS et intègre, notamment, les écologistes.

C’est parfois dramatique, comme à Cavaillon où une dissidence a éliminé Jacques Olivier, un candidat EELV qui a fait 20 % et qui, pour quelques centaines de voix, doit laisser la place à un duel FN-UMP (droite populaire). Il y a aussi eu des méthodes indignes de la démocratie, comme celles des partisans de Gérard Collomb, pourchassant de manière quasi hystérique, dans les rues de Lyon, des ministres de la République (Cécile Duflot et Benoît Hamon) venus soutenir Philippe Meirieu. Les comportements agressifs, quasi guerriers, laissent des traces. Comme disait Clemenceau : « On peut tout faire avec des baïonnettes, sauf s’asseoir dessus. »

EELV n’est-il pas en passe de devenir le parti radical de gauche du XXIe siècle pour le PS ? Non plus partenaire privilégié, mais simple satellite…
Le XXIe siècle n’est pas fini, gardons-nous des jugements définitifs ! Je peux comprendre que l’on se dise que le risque existe, mais le changement politique est affaire de temps, plus que de commentaires sur une seule élection. Le risque existerait sérieusement si nous en venions à faire l’aumône électoraliste sans même discuter du fond. Mais nous n’en sommes pas là, et je ne crois pas que l’intention de notre mouvement soit d’y parvenir. Nous avons fait le choix de négocier en toute transparence un accord programmatique de mandature, et si à la fin du quinquennat nous avons réussi à faire bouger les lignes, nous pourrons être jugés là-dessus…

Tant que nous aurons un poids sur le fond et des propositions écologistes fortes, le risque d’une « PRGisation » ne sera pas au rendez-vous. Si vous souhaitez vraiment filer la métaphore avec le mouvement radical, nous aspirons plutôt à être son équivalent des débuts de la république plutôt que celui de l’après-guerre. Les radicaux ont instauré la démocratie et la république contre les monarchistes, les cléricaux réactionnaires et le Parti de l’ordre, et imposé démocratiquement le triptyque Liberté, Egalité, Fraternité, ainsi que la laïcité. Aujourd’hui, les écologistes tentent de réaliser la même transition démocratique pour parvenir à sortir du modèle dominant productiviste fondé sur l’idéologie de la croissance, afin de porter un nouveau mode de développement écologique et social.

Les relations d’EELV avec le Front de gauche n’ont pas l’air des plus cordiales, et ce alors que vous pourriez vous retrouver à l’assemblée, sur certains votes…
Il y a une nécessité de dialogue ! Nous souhaitons parler avec tout le monde, pas simplement rester entre écologistes. Mais l’idée ne peut pas être de se situer dans une logique Front de gauche et écologistes contre le Parti socialiste. Nous pensons que la majorité serait meilleure si elle était diverse et que l’on ne doit pas se mettre dans une logique d’opposition après dix ans d’attente d’un pouvoir de gauche.

Bien sûr, il ne faut pas être naïf, mais il serait aussi malsain que dangereux de parier sur l’échec de cette nouvelle majorité en imaginant se refaire une santé électorale sur le dos du gouvernement, alors que l’on vient d’y entrer et que l’attente de la population est très forte. Lorsque l’on est en capacité d’agir sur les questions urgentes qui préoccupent nos concitoyens, notamment les plus défavorisés d’entre eux, refuser de le faire pour des intérêts purement partidaires ou de posture radicale n’est pas conforme à mon éthique de la responsabilité. Les communistes qui ont, par exemple, une véritable expertise sur la défense du service public des transports, mis à mal ces dernières années, auraient tort de dire “On verra plus tard”, plutôt que d’essayer de changer concrètement les choses, si la proposition leur en était faite.

 

Les écologistes ont-ils choisi leur camp entre les deux gauches qui s’opposent ?
Je ne sais pas si on peut dire ça. Nous avons fait le choix d’un partenariat constructif par souci d’efficacité dans l’action institutionnelle. Et on souhaiterait que le Front de gauche soit avec nous dans ce partenariat. Cela dit, il faut se méfier des étiquettes. Est-ce que le Chevènement du Ceres était vraiment plus à gauche que le Rocard du PSU ? Est-ce que Mitterrand c’était la première gauche, ou un effroyable conservateur ? Quand Jean-Luc Mélenchon se félicite de la vente d’avions Rafale en Inde, ça fait hurler dans son propre camp. Quand Martine Billard dit en meeting à Nantes son opposition à l’aéroport Notre-Dame-des-Landes, elle se fait siffler. Est-ce que le développement d’énergies renouvelables et d’une industrie nouvelle, c’est plus à gauche que la conservation du modèle énergétique actuel ?…

C’est pour cela qu’il y a une nécessité de dialogue entre nous tous, pour savoir quel projet on veut construire. Souvent, on pèse plus en étant autour de la table qu’en dehors. Je comprends le souhait d’indépendance du Front de gauche, mais nous avons pour culture commune de nous confronter au réel pour le changer, pas de rester dans la pureté – et la facilité – du seul discours critique.

Vous êtes pressenti pour succéder à Cécile Duflot à la tête d’EELV, si vous êtes élus par le conseil fédéral des 23 et 24 juin prochains. A quoi va donc bien servir un parti écolo ces deux prochaines années sans élection, et alors que les principaux dirigeants sont ministres et parlementaires ?
Mais la politique, et l’utilité d’un engagement collectif, ne s’arrêtent pas aux portes d’un gouvernement ! Il y a suffisamment à faire, à penser et à changer pour que nous ne nous posions pas ainsi cette question. D’une part, et c’est une bonne nouvelle, cela nous amènera à renouveler les cadres si nos principaux dirigeants sont appelés à de nouvelles fonctions. Par ailleurs, et surtout, l’écologie politique n’a pas vocation à être un simple parti de gouvernement. Elle porte, en synergie avec la société civile, un autre modèle de civilisation. Elle a vocation à développer dans l’ensemble des territoires des solutions concrètes et innovantes pour répondre aux problèmes du présent sans hypothéquer le futur, en termes d’emplois, de santé, d’alimentation, de logement, de transport, d’environnement…

Etre au gouvernement ou au parlement ne doit rien changer à nos convictions. Il va falloir profiter de ces mois sans élection pour mener une réflexion et ouvrir un grand débat public sur le nouveau cycle qui s’ouvre désormais pour l’écologie politique. Cela impliquera d’être imaginatif, de savoir tirer le bilan de ces trois dernières années, depuis la création d’Europe Ecologie. Il faudra sereinement se pencher sur les succès comme les échecs, réfléchir au devenir de la coopérative, qui n’a pas encore su trouver sa place. Cela pourrait passer concrètement par l’organisation de grandes conventions locales, puis nationales. Il ne s’agit pas de dire que l’on va faire le « Bad Godesberg des écologistes », mais de réfléchir et d’échanger, afin de prendre la mesure des temps nouveaux. Libérés pour un temps des contraintes électorales, tant internes qu’externes, nous pouvons porter un débat intellectuel dans notre mouvement, afin de nous fédérer autour de ce qui nous rassemble, le projet et les idées, pour en tirer ce qui sera le plus utile pour la société.

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