Exposé des motifs

Le Gouvernement a fait le choix, en juillet dernier, de soumettre au Parlement un projet de loi de finances rectificative (PLFR) et un projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale (PLFRSS). Ces textes de milieu d’année ont en principe vocation à adapter la trajectoire budgétaire de l’exercice en cours, à l’aune de la situation économique. Or, malgré une croissance française nulle au premier trimestre, malgré les alertes du Haut conseil des finances publiques, le Gouvernement a fait le choix, en juillet, de maintenir sa prévision initiale de croissance pour 2014, en l’occurrence 1%, pariant ainsi avec beaucoup d’espoir sur une forte reprise au deuxième trimestre.

Comme c’était le plus probable, cette reprise n’est pas venue et le ministre des finances a reconnu début septembre que la croissance du PIB de la France ne devrait en réalité pas excéder 0,4% en 2014.

Cela a contraint le Gouvernement à revoir ses calculs budgétaires et même à reporter au début du mois d’octobre la publication des projets de loi de finances (PLF) et de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2015.

La mesure centrale de ce budget est une réduction de 21 milliards d’euros de dépenses publiques pour 2015, un montant inédit. Le Gouvernement poursuit donc et même amplifie sa politique de rigueur alors que, par ses prévisions systématiquement démenties, il est lui-même contraint, année après année, d’en acter l’échec (rappelons que le déficit de 2014 est très loin des prévisions initiales).

La mécanique terrible de cette spirale récessive et déflationniste est simple : les importantes réductions de dépenses publiques (et/ou hausses d’impôts générales), censées réduire le déficit, contractent tellement l’activité économique que la baisse de recettes fiscales qui en résulte annule l’effort réalisé. L’économie et la société s’abîment alors sans que les finances publiques s’assainissent pour autant. Bien qu’à l’instar du FMI, les institutions financières les moins iconoclastes reconnaissent désormais ce phénomène, les dirigeants européens, eux, continuent d’imposer cette potion, qui présente à leurs yeux l’avantage d’amener les Etats à affaiblir progressivement la protection sociale, la redistribution fiscale et la réglementation du travail, qui toutes entravent les profits privés d’une économie désormais financiarisée.

Le Gouvernement a annoncé le report de 2015 à 2017 de l’objectif de réduction du déficit public à moins de 3% du PIB. Sauf à prétendre, tel un médecin médiéval, soigner une hémorragie par une saignée, il pouvait difficilement en être autrement. Pour autant, il ne faut pas imaginer que cette entorse à la loi d’airain du TSCG sera gratuite. L’Allemagne et la Commission européenne ont déjà laissé entendre que cet écart ne pourrait être pardonné que si la France poursuit ses « réformes ». Et le Président a beau annoncer la négociation, elle portera sur un échéancier non sur la nature des réformes a effectuer. Il est frappant ailleurs de constater que l’on ne qualifie plus ces « réformes ». Comme si elles s’imposaient d’évidence, comme si la politique n’avait plus cours. Ces « réformes » sont pourtant empreintes d’une lourde idéologie : baisse du prix du travail, durcissement des conditions d’indemnisation des chômeurs, révision des seuils sociaux, travail du dimanche, casse du service public et réduction des protections environnementales… Lors de sa conférence de presse, le Président de la République a eu le mérite de la clarté en précisant que pour lui, les réformes menées en son temps par le chancelier Schröder constituent « une bonne référence ». On est loin du discours du Bourget et de la campagne présidentielle.

D’un point de vue strictement budgétaire, les « réformes » se traduisent par des réductions aveugles et massives de la dépense publique, d’autant plus difficiles à mettre en oeuvre que l’inflation est faible. Les 21 milliards d’euros pour 2015 devraient se répartir ainsi : 9,6 milliards sur la Sécurité sociale, 7,7 milliards sur l’Etat et ses opérateurs et 3,7 milliards sur les collectivités locales. Cela se traduit par des réductions de prestations sociales, un recul des crédits d’intervention de l’Etat et une grave dégradation des services publics.

C’est le TSCG, ou Pacte budgétaire, soutenu par le Président de la République, qui a fait de ce dogme de la réduction du déficit budgétaire par diminution des dépenses, le ciment de la politique européenne. Il y avait pourtant, il y a toujours une autre manière d’envisager l’intégration et la coopération européennes. Doter l’Europe d’outils de politiques monétaire et budgétaire, pour ne plus être dans la main des marchés ; harmoniser les fiscalités, pour éviter une concurrence absurde ; engager fermement la lutte contre l’optimisation fiscale des multinationales, que l’OCDE vient de relancer avec le projet BEPS, pour récupérer des dizaines voire des centaines de milliards d’euros ; investir et créer de grandes filières industrielles européennes notamment dans l’énergie et les transports, pour concrétiser la transition écologique, lutter contre le réchauffement climatique et générer à terme des économies considérables : autant de chantiers qui auraient permis, qui permettraient d’emmener l’Europe sur la voie d’une économie saine, durable et solidaire.

Ces mesures se déclinent à l’échelle nationale. Plutôt que d’offrir aux entreprises 40 milliards d’euros sans contrôle, alors que les dividendes qu’elles versent ont augmenté de 30% en un an, il serait possible de relancer l’économie par une commande publique qualitative et des aides aux entreprises ciblées, étudiées au cas par cas dans les territoires, encourageant les filières d’avenir, et privilégiant des emplois de qualité non délocalisables. Il y aurait là de quoi assigner un financement pérenne à la transition énergétique, fertile en emplois et en économies à venir – le montant du déficit commercial français est du même ordre de grandeur que les importations d’énergie… Pour l’instant, d’après la ministre de l’environnement, il ne serait promis à la transition énergétique que 10 milliards d’euros sur trois ans, qui semblent de surcroît agréger des dispositifs déjà existants et beaucoup de crédits bancaires, alors que les ONG attendaient 20 milliards par an.

La suppression de la taxe poids-lourds représente à cet égard un coup dur porté à l’idée même de la transition écologique : les pollueurs refusent d’être les payeurs et le conservatisme s’oppose à toute forme d’adaptation de notre système économique. Budgétairement, c’est l’ensemble des contribuables qui devra assumer non seulement la compensation des recettes qui devaient contribuer au financement des infrastructures de transport, mais aussi les coûts faramineux de rupture du contrat Ecomouv. Quant à l’augmentation de 2 centimes du litre de carburant diesel, si elle amorce une convergence fiscale bienvenue entre l’essence et le gazole, il est difficilement compréhensible que les transporteurs routiers en soient exonérés, alors même que cette hausse était présentée comme une compensation du premier affaiblissement de la taxe poids-lourds, avant qu’elle ne soit supprimée.

Sur le plan social et sanitaire, à l’heure où le ministre du travail stigmatise les chômeurs, la Cour des Comptes, dans son rapport sur la Sécurité sociale, évalue justement à plus de 20 milliards d’euros annuels la fraude aux cotisations sociales, essentiellement due au travail dissimulé – un montant supérieur au « trou de la Sécu » ! En matière de santé, les économies pouvant découler d’un encadrement sérieux des dépassements d’honoraires ou de la limitation des profits des laboratoires pharmaceutiques, qui engrangent de juteux bénéfices grâce à l’assurance-maladie, pourraient être exploitées de préférence à la réduction des prestations. Le coût des pathologies liées à la pollution de l’air étant évalué entre 20 et 30 milliards d’euros par an par le Commissariat général au développement durable, on voit bien les avantages multiples que l’on pourrait tirer d’actions volontaristes en la matière – par exemple, mais pas seulement, sur le trafic routier.

Contrairement à la caricature trop souvent présente dans les discours du Président de la république et des membres du gouvernement, une autre politique ne consiste pas nécessairement à « laisser filer le déficit », mais à faire d’autres dépenses et d’autres économies. Cela n’est d’ailleurs pas exclusif du questionnement de l’efficacité de la dépense publique : un nouveau rapport comparatif vient de mettre en évidence la très mauvaise qualité de l’intégration sociale induite par le système scolaire français. Y remédier nécessiterait une analyse et des réformes plus profondes que la seule création de postes.

Dernière annonce en date, et non des moindres, la probable suppression de la première tranche de l’impôt sur le revenu, sans que son périmètre exact et son financement soit encore connu. Il se pourrait en effet que cette mesure remplace la réduction d’impôt sur le revenu votée dans le PLFR de juillet et la réduction de cotisations salariales votée dans le PLFRSS mais annulée par le Conseil constitutionnel. Devraient s’y ajouter une augmentation de 8 euros par mois du minimum vieillesse et une prime annuelle de 40 euros pour les retraites inférieures à 1200 euros par mois.

En ce qui concerne la fiscalité des ménages, si l’on ne peut que se réjouir que la suppression de la première tranche de l’impôt sur le revenu rende un peu d’oxygène à ceux de nos concitoyens dont les revenus sont les plus faibles, le symbole ne doit pas occulter les ordres de grandeur : les efforts en faveur des ménages restent environ huit fois inférieurs aux avantages consentis aux entreprises. Par ailleurs, après que le Gouvernement eut donné corps au « ras-le-bol » puis au « haut-le-cœur » fiscal, il est peu probable que les improvisations dont fait l’objet la fiscalité, devenue variable d’ajustement politique, concoure à restaurer le consentement à l’impôt. Alors que l’impôt sur le revenu n’est plus payé que par la moitié des ménages et que le montant de ses niches atteint la moitié de son rendement, la CSG s’applique sans progressivité, donc de manière beaucoup moins juste, à la plupart des ménages. La grande réforme fiscale assortie de la fusion de l’impôt sur le revenu et de la CSG, promise par le Président de la République au cours de sa campagne se fait plus que jamais attendre.

Motion

Le conseil fédéral rappelle les principales attentes budgétaires des écologistes :

Un budget ambitieux en matière d’écologie :

  • maintien la taxe poids-lourds ou, a minima, la compensation intégrale du manque à gagner sans qu’elle pèse sur les ménages, l’annulation des mesures compensatoires pour les transporteurs ;
  • transcription dans le PLF des mesures de la loi de transition énergétique, notamment le chèque énergie ;
  • maintien du budget de l’écologie, déjà affecté par de précédentes réductions ;
  • un effort important en faveur des transports communs pour compenser la hausse de TVA ;
  • rattrapage du retard de la France en matière de fiscalité écologique et de suppression des niches anti-environnementales ;
  • suspensions des subventions aux projets néfastes à l’Environnement ;

Un budget favorisant la transition écologique de l’économie :

  • conditionnement des aides aux entreprises, en particulier le CICE et le CIR, en fonction de leur taille, de leur secteur, de leur politique salariale et sociale, de leurs investissements en faveur de la recherche et de la transition écologique ;
  • renforcement de la lutte contre l’évasion fiscale ;
  • orientation de l’épargne vers l’économie réelle ;
  • maintien de la capacité d’investissement des collectivités territoriales, moteur de l’activité économique sur les territoires

Un budget garant de la justice sociale et fiscale :

  • instauration d’une réelle progressivité des prélèvements sur les ménages par une fusion de l’impôt sur le revenu et de la CSG, la révision des niches et la mise en place de la retenue à la source ;
  • maintien du niveau d’intervention des collectivités territoriales dans le domaine social et dans l’éducation ;
  • maintien de la qualité du système de soin, en particulier au sein des hôpitaux 

Force est de constater que le budget pour 2015 est moins empreint de ces orientations que par le choix d’une réduction massive des dépenses publiques, d’un soutien sans précédent de 41 milliards aux entreprises sans contrepartie et d’une fragilisation des financements en faveur de l’écologie. 

Parce que ce budget ne permet pas d’emmener la France et l’Europe sur la voie d’une économie plus durable et plus solidaire, le conseil fédéral exprime son opposition claire aux choix économiques et budgétaires du Gouvernement pour 2015, conjointement inscrits dans le projet de loi de finances et le projet de loi de financement de la sécurité sociale, et demande une réorientation écologique et sociale de la politique économique  et budgétaire.

Pour : 80 ; contre : 20 ; blancs : 4.

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