Par Guillaume Duval, rédacteur en chef d’Alternatives économiques

A cause des contraintes européennes, les marges de manœuvre du gouvernement étaient incontestablement limitées. Mais les mesures engagées ont plus de chance d’enclencher une spirale déflationniste qu’un redressement productif.  

Le gouvernement français avait présenté le 23 avril dernier le « Programme de stabilité 2014-2017 » qu’il va soumettre à la Commission européenne. Celui-ci prévoit en particulier un retour du déficit public français sous la barre des 3 % du produit intérieur brut (PIB) dès 2015. Ce qui avait amené le gouvernement à programmer pour l’an prochain des mesures douloureuses socialement et politiquement difficiles à défendre comme la poursuite du gel du point d’indice des fonctionnaires  ou encore le blocage des retraites et des prestations sociales même si certaines d’entre elles ont été finalement adoucies avant le vote indicatif du Parlement le 29 mai dernier. Entre la pression exercée sur la compétitivité française par la course au moins-disant social engagée chez nos voisins et le carcan budgétaire imposé par le TSCG dans la zone euro, la France se trouve prise au piège : elle est obligée de rentrer dans une spirale déflationniste dont elle ne peut pourtant guère espérer tirer bénéfice.

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Le piège de la course au moins-disant social

Depuis 2010, la France était un des pays de la zone euro qui avait le moins souffert de la crise parce que sa demande intérieure s’était maintenue. Fort heureusement, car cela a contribué de façon déterminante à éviter que la zone euro ne s’effondre. Il en était ainsi parce que le pays n’avait pas subi jusqu’ici de déflation salariale ni de baisse des dépenses publiques. Ce n’était pas le cas en revanche de la plupart de nos voisins en dehors de l’Allemagne, et notamment des pays les plus en crise : ils ont baissé rapidement leurs couts salariaux et donc restreint fortement leur demande intérieure. Ce mouvement a nettement dégradé les comptes extérieurs du pays car, contrairement à l’industrie allemande, l’industrie française exporte peu hors de l’Europe. Résultat : alors que l’Espagne par exemple était avant la crise un des pays vis-à-vis duquel la France dégageait le plus d’excédents extérieurs avec un surplus de 6,3 milliards d’euros en 2007, l’Hexagone a enregistré un déficit de 1,9 milliard de mars 2013 à février 2014. De plus, la course au moins-disant social engagée chez nos voisins a exercé une pression à la baisse sur les prix industriels, d’où une diminution des marges des entreprises françaises. C’est ce double constat qui avait conduit le gouvernement à engager les 20 milliards d’euros de baisse du coût du travail décidés en 2012 avec le CICE, devenus 30 milliards avec le pacte de responsabilité. Une démarche censée permettre aux entreprises de se remettre à investir et embaucher grâce aux marges supplémentaires ainsi dégagées.

Le pacte de responsabilité : une affaire qui n’est pas rentable

François Rebsamen, le nouveau ministre de l’Emploi, a indiqué le 22 avril dernier que le gouvernement attendait officiellement 190 000 emplois supplémentaires des 10 milliards d’euros de baisse des cotisations additionnelles liées au « pacte de responsabilité ». Soit en tout 490 000 emplois pour les 30 milliards d’euros de baisse du coût du travail accordés aux entreprises avec le CICE et le pacte.

Ce chiffre peut paraitre élevé mais il est en réalité très faible. 30 milliards d’euros pour 490 000 emplois, cela représente en effet 61 000 euros d’argent public par emploi. Or un emploi coûte en moyenne actuellement (cotisations patronales comprises) 49 000 euros selon les données de la Commission européenne. Cela signifie donc que le gouvernement admet lui-même par avance que, du fait des mesures récessives qui les accompagnent du côté des dépenses publiques, ces 30 milliards d’euros d’argent public n’auront en réalité aucun effet multiplicateur sur les créations d’emplois privés puisque leur coût pour les finances publiques excèdera de façon significative la dépense que les entreprises vont réinjecter dans le circuit économique sous forme d’emplois créés. En bonne logique, la Cour des Comptes sera obligée d’en déduire que cette politique publique n’était vraiment pas justifiées : les 35 heures avaient été beaucoup plus efficaces sur ce plan !

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L’impossible équation budgétaire

Mais parallèlement François Hollande s’était aussi engagé dans sa campagne présidentielle à ramener les déficits français sous la barre des 3 % dès 2013. Pour ce faire il avait procédé l’an dernier à un tour de vis budgétaire sans précédent de 30 milliards d’euros (20 milliards d’euros de hausse d’impôts, 10 milliards de baisse des dépenses). Comme c’était prévisible, ce tour de vis a tellement cassé l’activité qu’il n’a finalement pas eu du tout les résultats escomptés en termes de réduction des déficits : ceux-ci ne sont revenus qu’à 4,3 % du PIB. Entretemps la Commission européenne avait cependant accepté de repousser à 2015 l’échéance à laquelle la France devait ramener ses déficits à 3%. Mais aujourd’hui, l’échec du tour de vis de 2013 combiné à la montée en puissance rapide du CICE et du pacte de responsabilité, qui diminuent les recettes publiques, rendent de nouveau l’équation budgétaire pour 2015 très délicate. D’où la tentation de demander un nouveau délai à Bruxelles. Mais, la France se trouvait dans une position difficile : la parole de son président est démonétisée après l’échec de la réduction des déficits en 2013, les textes juridiques laissent peu de marges d’appréciation à la Commission européenne et surtout, au-delà même du gouvernement allemand toujours aussi à cheval sur ces questions, la France n’a aucun allié dans cette affaire. Les autres gouvernements qui ont quasiment tous pris des mesures très impopulaires ces dernières années, ne sont pas prêts en effet à appuyer une demande d’exception française. Même le gouvernement de Matteo Renzi en Italie, qui se trouve dans une situation similaire, a indiqué qu’il respecterait les engagements de ses prédécesseurs. Il ne restait donc plus d’autre choix que de s’incliner ou de déclencher une crise européenne majeure tout en étant très isolé. Au risque en particulier de déclencher la défiance des investisseurs à l’égard de la dette française.

 

Une spirale déflationniste

Mais du coup que la forte austérité budgétaire désormais programmée pour 2015, va de nouveau ralentir sensiblement l’activité. Cela risque d’autant plus de se produire l’an prochain que beaucoup des mesures d’austérité annoncées par le gouvernement vont toucher plutôt les couches populaires qui ne pourront pas puiser dans leur épargne pour maintenir leur consommation comme ont pu le faire dans une certaine mesure les plus aisés visés par les hausses d’impôt de 2013. Cela va également limiter les effets positifs attendus du pacte de responsabilité : en l’absence de demande, les entreprises n’ont guère de raison d’investir et d’embaucher même si leurs marges s’accroissent. Tandis que les frustrations engendrées par ces mesures, notamment au sein de la fonction publique, risquent fort de bloquer les indispensables réformes qu’il faudrait mener à bien dans l’appareil d’Etat et l’action publique.

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Le tour de passe-passe de Michel Sapin

L’ampleur réelle du tour de vis programmé a cependant été un peu limitée par un tour de passe-passe. Le gouvernement a en effet repris à son compte les dernières prévisions de croissance établies par la Commission européenne pour la France en 2014 (1 % de croissance) et 2015 (1,7 %). Une prévision plutôt optimiste : pour 2015, ce niveau est en effet supérieur à celui anticipé à la fois par l’OCDE (1,6 %) et par le FMI (1,5 %). Mais la Commission européenne avait associé cette prévision de croissance élevée à une politique budgétaire très peu restrictive : elle prévoyait que le déficit français ne reculerait que de 0,2 points de PIB cette année et 0,1 points de PIB l’an prochain. Le gouvernement fait donc le pari que l’économie française pourrait atteindre les niveaux de croissance relativement optimistes prévus par la Commission européenne, malgré une restriction budgétaire beaucoup plus importante que celle qu’elle avait programmée : 0,5 points de PIB cette année et 0,8 points l’an prochain.

 

Des hypothèses irréalistes

Une hypothèse a priori peu réaliste : alors que nombre d’économistes avaient tendance à sous-estimer ce facteur, on a pu mesurer au cours des dernières années combien une restriction budgétaire avait toujours un impact négatif significatif sur l’activité économique, avec des « multiplicateurs », comme disent les économistes, nettement supérieurs à 1 (si le multiplicateur est de 1,5, cela signifie qu’un point de restriction budgétaire réduit la croissance de 1,5 point). Avec un tour de vis budgétaire de 1 point de PIB plus sévère que la Commission européenne sur 2014-2015, le gouvernement aurait dû en bonne logique, prévoir une croissance inférieure d’au moins un point à celle anticipée par la Commission. Il parait donc plus que probable que les 1,7 % de croissance ne soient pas atteints l’an prochain.  Pour les années ultérieures (2016 et 2017) la prévision de 2,25 % par an retenue par le gouvernement est encore plus décalée par rapport à la plupart des estimations, et notamment celles du FMI qui ne table que sur une croissance de 1,7 % en 2016 et de 1,8 % en 2017 pour la France. A cet horizon, les prévisions sont certes toujours aléatoires, mais si la France atteignait les niveaux prévus par le gouvernement, ce serait a priori un exploit…

 

Ruser avec les règles

Le cadrage macroéconomique retenu par le gouvernement semble donc a priori peu réaliste mais il présente l’avantage de satisfaire les exigences de la Commission en matière de réduction du déficit budgétaire sans avoir pour ce faire à programmer une austérité encore plus drastique puisque la forte croissance anticipée se charge en théorie de soutenir les rentrées publiques. Il s’agit d’un jeu de dupes qui ne trompe probablement personne, ni à Paris ni à Bruxelles, mais qui permettrait à chacun de sauver les apparences, si la Commission accepte de se voiler la face… Quand on est coincé par un carcan de règles « stupides » comme l’avait déjà fort justement dit dès 2005 Romano Prodi, alors président de la Commission européenne, à propos du pacte de stabilité, il faut parfois savoir ruser… Il n’en reste pas moins que, si les marges de manœuvre étaient incontestablement limitées, les mesures engagées ont plus de chances d’engager le pays dans une spirale déflationniste que de hâter son redressement productif. Tout en contribuant à replonger la zone euro dans la crise en rognant la demande intérieure française…