> Tribune de Sandrine Bélier, publiée dans Le Monde

Le 11 mars 2011 est arrivé à Fukushima ce qui, selon les experts, n’aurait jamais dû arriver. Trois ans après la catastrophe, Naoto Matsumura, cet agriculteur japonais qui a refusé d’évacuer la zone interdite proche de la centrale de Dai-ichi, sera en Alsace pour témoigner de la dévastation causée par l’accident. Ce triste anniversaire, que les militants anti-nucléaires s’apprêtent à commémorer dimanche 9 mars sur les ponts du Rhin, nous rappelle que fermer la plus vieille centrale nucléaire de France située à Fessenheim est aujourd’hui une nécessité absolue. Pour la sécurité de chacun, avant toute chose, mais aussi pour aborder de manière lucide et volontaire la question de la transition énergétique.

UN IMPÉRATIF POUR LA SÉCURITÉ DE TOUS

Les faits sont têtus : une catastrophe similaire à celle du 11 mars 2011 aurait en Alsace des conséquences humaines et sanitaires encore plus dramatiques qu’à Fukushima. Le bassin de vie de Fessenheim regroupe en effet une population cinq fois plus importante, répartie entre trois pays, la France, l’Allemagne et la Suisse. La création de zones d’évacuation comparables à celle de Fukushima (un rayon de 20 à 30 kilomètres autour de la centrale), pourrait contraindre les habitants de Mulhouse, Colmar et Fribourg à abandonner leurs villes pour des conditions de vie précaires et incertaines à l’instar des 343 000 « évacués » de Fukushima.

Or, les risques liés à la centrale de Fessenheim sont bien réels. Il s’agit de la plus vieille centrale de France, construite en zone sismique, et située sous le niveau du canal d’Alsace, donc inondable en cas de rupture de la digue qui la protège. De plus, son radier (dalle de béton devant confiner le magma radioactif en cas de fusion des réacteurs) est extrêmement fin et ne résisterait pas à un scénario similaire à celui de Fukushima, contaminant au passage une nappe phréatique qui alimente 6 millions de personnes, la plus grande d’Europe. Enfin, et malgré les discours volontiers rassurants de l’Autorité de Sureté Nucléaire, elle génère aujourd’hui 4 fois plus d’incidents que la moyenne des autres centrales.

UNE MESURE DE BON SENS ÉCONOMIQUE

La fermeture de Fessenheim est donc une nécessité absolue pour la sécurité à moyen et long terme de la région et des générations futures. C’est aussi une mesure de bon sens économique. Comme le rapport de Wise-Paris commandité par Greenpeace France l’a montré, le coût des opérations de mise à niveau nécessaires pour permettre à un réacteur de continuer à fonctionner après 40 ans avec un niveau de sécurité correct pourrait être compris entre 2,5 et 6,2 milliards d’euros, soit jusqu’à quatre fois le montant prévu par EDF. À l’échelle de la France, les travaux menés par Denis Baupin et les députés écologistes ont montré que ce sont 300 milliards d’euros qui seront nécessaires à la rénovation et au renouvellement du parc nucléaire national. La conclusion est claire : à Fessenheim comme ailleurs, le nucléaire pas cher est un mythe dont il faut s’émanciper

UNE OUVERTURE POUR LA TRANSITION ÉNERGÉTIQUE

A long terme, seule la transition énergétique pourra nous sortir de cette impasse sécuritaire et économique. Plutôt que de dépenser des centaines de milliards d’euros dans des centrales d’un autre âge, nous pourrions créer jusqu’à 630 000 emplois d’ici 2030 en investissant massivement dans les économies d’énergie et les énergies renouvelables. Alors que le chômage de masse ronge chaque jour un peu plus notre tissu social, ignorer le plus grand gisement d’emplois dont nous disposons aux seules fins de préserver les profits d’EDF et les intérêts du lobby nucléaire relève de l’aberration et du scandale.

Eolien, solaire, géothermie profonde, biomasse, l’Alsace a le potentiel pour devenir le laboratoire de la transition énergétique française et donc de bénéficier avant les autres de ses retombées économiques. La fermeture de la centrale Fessenheim est inéluctable, elle doit être irréversible. À court terme, le site recevra les emplois directs et indirects nécessaires au démantèlement de la centrale, une opération qui durera des années. À plus long terme, la reconversion sociale et économique du site assurera la prospérité durable de la région.

Définir les contours de cette reconversion prendra du temps et exigera une action vigilante et concertée de tous les acteurs locaux, nationaux et européens. Mais une chose est certaine : les pistes les plus prometteuses résident dans la coopération avec nos voisins d’outre Rhin, à l’échelle du Rhin supérieur. Lors du Conseil des Ministres commun du 19 février, la France et l’Allemagne ont déclaré vouloir coopérer plus activement dans le domaine de la transition énergétique. Les réflexions portent à l’heure actuelle sur la création d’un grand centre d’innovation commun sur le stockage de l’énergie ou d’une usine franco-allemande de cellules photovoltaïques, alliant ainsi excellence industrielle allemande et savoir-faire technologique français. Quelle ville mieux que Fessenheim peut incarner cette ambition commune ?

Sandrine Bélier, Députée européenne Europe Écologie du Grand Est