Tribune de Sandrine Bélier, eurodéputée EELV, publiée sur Slate.fr

Les chefs d’Etat et de gouvernement européens se réunissaient les 20 et 21 mars à Bruxelles pour discuter de la politique énergétique et climatique de l’Union européenne pour 2030. Ils examinaient une proposition publiée par la Commission européenne en janvier:  une réduction des émissions de CO2 de 40% couplée à un objectif de 27% d’énergies renouvelables au niveau européen. L’efficacité énergétique, elle, est la grande absente de cette proposition.

Sous couvert de «réalisme» et de défense de la compétitivité industrielle, la Commission européenne propose concrètement de ne rien faire jusqu’en 2030. Car c’est bien d’inaction qu’il s’agit: les politiques déjà en place nous conduiraient à une baisse des émissions de 32% en 2030 d’après les propres chiffres de la Commission. De plus, l’objectif de 27% d’énergies renouvelables suppose une croissance de ce secteur sensiblement plus faible que ce qu’il a connu jusqu’à présent.

Une chose est claire: les écologistes et la Commission n’ont pas la même définiton de ce qu’est une politique réaliste. Elle part du principe, irréaliste, que l’Europe peut se permettre d’attendre pour déployer sa transition énergétique. Elle se base également sur l’idée, tout aussi irréaliste, que la transition énergétique est possible sans réduire notre consommation d’énergie.

Les écologistes européens proposent une transition énergétique basée sur trois objectifs: 60% de réduction des émissions, 45% d’énergies renouvelables et 40% d’efficacité énergétique. Drastique? Certainement. Mais surtout profondément réaliste.

Réalisme économique et industriel

Première réalité: ni l’économie ni l’industrie européennes ne peuvent se permettre de retarder la transition énergétique. Cette réalité est niée par un petit nombre de lobbys industriels très influents auprès de la Commission. Ceux-ci répètent ad nauseam que les politiques climatiques, en particulier le marché du carbone et le développement des énergies renouvelables, sapent la compétitivité de l’industrie européenne en leur infligeant des coûts auxquels la «concurrence» n’est pas soumise. Résultat: des délocalisations à la chaîne.

Eurofer, le lobby sidérurgique européen, va même jusqu’à accuser la maigre proposition de la Commission de préparer ladésindustrialisation de l’Europe et réclame une éxonération complète pour les producteurs d’aciers.

Or, la Commission européenne elle-même reconnaît que ces politiques ne sont pas responsables d’un quelconque exode industriel. Les taxes sur l’énergie ont certes augmenté ces dernières années, mais celles destinées au financement des énergies renouvelables n’en représentent qu’une faible proportion. Les gains d‘efficacité énergétique ont également permis de compenser  en partie cette hausse des prix.

Certains secteurs très émetteurs de CO2 ont même très largement bénéficié de la politique climatique européenne. Dans le secteur sidérurgique par exemple, les largesses accordées dans l’attribution des droits d’émission ont permis à certaines entreprises de réaliser des profits colossaux. C’est le cas d’ArcelorMittal et ses 1,2 milliard d’euros de profits carbone!

Ce qui ne l’a pas empêché de supprimer 40.000 emplois en 5 ans en Europe. Le déclin de l’industrie sidérurgique européenne n’a rien à voir avec le coût du CO2aujourd’hui très faible, mais bien avec la conjoncture internationale défavorable et une concurrence féroce de la Chine et de l’Inde. Par ailleurs, la transition énergétique lui fournira de nouveaux marchés à fort potentiel de croissance: sans acier, pas d’éoliennes!

Aujourd’hui, c’est au contraire notre manque d’ambition qui prive certaines industries essentielles à la transition (isolation, énergies renouvelables…) de débouchés qui pourraient s’ouvrir à elles. Le réalisme, c’est comprendre que les opérateurs économiques ont besoin d’un cap clair et prévisible.

Or les objectifs débattus ne sont ni l’un ni l’autre. Non seulement ils n’incitent pas les entreprises à investir, mais leur faiblesse même fait présager que l’effort qui devra être consenti après 2030 devra être beaucoup plus abrupt et douloureux. Le réalisme, dans une Europe qui compte plus de 25 millions de chômeurs, c’est aussi de ne pas se priver du plus grand gisement d’emplois dont nous disposons.

Les énergies renouvelables représentent déjà plus d’1 million d’emplois dans l’Union européenne. En 2030, nous pourrions en créer 1,25 million de plus si nous adoptions des objectifs ambitieux de réduction des émissions, d’énergies renouvelables et efficacité énergétique.

Nos propositions peuvent sembler difficiles à atteindre. En réalité, desétudes montrent qu’il n’en est rien, à une condition: nous devons réduire notre consommation d’énergie.

L’efficacité énergétique, le nerf de la guerre

Il s’agit là d’une deuxième réalité, également niée par la Commission et les gouvernements européens: la réduction de notre consommation d’énergie est la clé de notre réduction d’émissions de CO2, de notre compétitivité et de notre sécurité.

L’efficacité énergétique, c’est à dire consommer moins d’énergie pour un même service rendu, est une ressource presque parfaite: elle est peu chère, abondante, domestique, nous savons déjà l’exploiter et elle est sans danger pour l’environnement. Couplée aux énergies renouvelables, dont le coût ne cesse de décroître, il s’agit de l’outil le plus efficace dont nous disposons pour mettre en œuvre la transition énergétique à bas coût! Les mesures d’efficacité énergétique ont souvent un coût nul ou négatif: les économies réalisées sont fréquemment supérieures aux investissements initiaux.

C’est d’ores et déjà un atout compétitif majeur pour les entreprises européennes. Pour les industries comme pour les ménages, plus d’efficacité énergétique signifie des factures en baisse. Il est donc abberant que l’Union européenne renonce à un objectif d’efficacité énergétique après 2020. Le Parlement européen a d’ailleurs appelé à ce que celle-ci soit au cœur de la stratégie énergétique européenne pour 2030.

Indépendance énergétique et démocratique

Outre ses avantages économiques et environnementaux évidents, notre proposition se base sur une troisième réalité : notre dépendance aux énergies importées nous maintient dans une position d’extrême faiblesse sur la scène internationale.

Sur fond de crise ukrainienne, les Etats membres réunis ces 20 et 21 mars, ont appellé à une réduction de la dépendance énergétique de l’Union européenne. Un tiers de notre gaz provient en effet de Russie, pays avec lequel nos relations sont durablement compromises.

Pour ce faire, le Royaume-Uni et la Pologne misent sur le nucléaire et le gaz de schistes. Là encore, ces options ne sont pas réalistes. Le nucléaire est cher, dangereux et nous ne disposons pas sur notre territoire de la matière première qui contribuerait au renforcement de notre indépendance. Le gaz de schiste, comme l’a montré une étude de l’IDDRI, ne pourrait couvrir que 10% maximum de notre demande en gaz pour un coût environnemental et sanitaire inacceptable.

Alors et encore, soyons réalistes: dans le contexte, engager résolument, de manière rapide une politique ambiteuse d’efficacité énergétique et de développement des énergies renouvelables sont notre seule option viable pour nous affranchir de la tutelle énergétique russe : 40% d’efficacité énergétique en 2030 nous permettrait de nous passer de gaz russe d’ici 15 ans et de réduire notre facture énergétique de 1.000 milliards d’euros !

Le réalisme, c’est donc bien d’utiliser les outils pour réduire nos émissions de CO2 à bas coût tout en améliorant le pouvoir d’achat des ménages, la compétitivité des industries et notre indépendance face à des autocraties hostiles.

Les décisions sur le prochain paquet Climat-Energie attendront l’automne 2014. Le temps d’installer une nouvelle Commission et un nouveau parlement européen. Nous serons de ceux qui continueront de porter une politique énergétique et climatique adaptée aux réalités environnementales, économiques et sociales auxquelles elle doit faire face.

Sandrine Bélier