La Commission européenne vient d’imposer des taxes antidumping sur les panneaux solaires importés de Chine. La décision de Bruxelles fait fi des réticences de plusieurs Etats de l’UE et des craintes de représailles commerciales chinoises. Yannick Jadot, eurodéputé EELV, interviewé par le journal Libération, défend bec et ongles cette décision. Revue de presse.

A compter du 6 juin, les panneaux solaires importés de Chine seront taxés pour une durée de six mois. D’abord au taux de 11,8 %, puis à 47,6 % en moyenne à compter du 6 août si la Commission ne parvient pas à trouver un accord avec Pékin. Selon le Commissaire en charge du Commerce Karel De Gucht, il s’agit là d’une « mesure d’urgence pour donner un ballon d’oxygène à un secteur qui souffre » du dumping chinois.

– Lire l’interview de Coralie Schaub sur le site de Libération.

La décision de la Commission vous satisfait-elle ?

Elle offre un répit absolument indispensable à l’industrie européenne, qui dégringole depuis deux ans du fait de l’inondation du marché mondial par les entreprises chinoises. Selon l’enquête qu’elle a menée pendant neuf mois, la Commission confirme que les panneaux chinois sont vendus à la moitié de leur coût de revient. Malheureusement, Bruxelles a réduit l’ampleur de ses mesures de rétorsion. Mais elle a fait face à des menaces répétées de la Chine et des pressions de certains Etats membres. Ce qui se joue, c’est la capacité de l’Europe à développer et à défendre des industries d’avenir.

Pourquoi ces mesures étaient-elles si importantes ?

Les énergies renouvelables sont les énergies du XXIe siècle. La protection du climat, de notre santé et de l’environnement en dépendent, mais aussi la compétitivité de nos économies et l’emploi, puisque les énergies renouvelables en créent beaucoup. Elles permettent donc pour l’Europe de construire enfin sa souveraineté énergétique. C’est aussi une industrie d’avenir. Si on abandonne aux Chinois nos filières les plus compétitives, c’est que nous actons la fin de toute politique industrielle. Et puis la transition énergétique, c’est repenser localement les besoins et la demande, et offrir les réponses les plus durables. Concentrer en Chine une étape aussi essentielle est un risque lourd, sachant que ce pays n’est pas démocratique, qu’il use et abuse du dumping social, environnemental, fiscal et monétaire. Enfin, l’économie verte doit contribuer à offrir des emplois, y compris industriels.

Vous dites que ces mesures sont tardives et en dessous du niveau que vous auriez souhaité…

Les mesures proposées par la Commission il y a un mois étaient d’imposer des droits de douane en moyenne de 47 %. Là, la commission impose un taux de 12 % pendant 60 jours. Si les entreprises chinoises ne corrigent pas leur stratégie, alors la Commission imposera les mesures initialement prévues. Ce qui est dramatique, c’est que la Chine a réussi, avec la complicité de l’Allemagne, à diviser les Etats membres et à diviser les acteurs au sein de la filière photovoltaïque. C’est une atteinte grave à notre souveraineté que nous laissons faire.

Ces mesures suffiront-elles à sauver le photovoltaïque européen ?

Elles offrent une bouffée d’oxygène. Cela ne suffira pas si les conditions d’une concurrence loyale ne sont pas maintenues après les 6 mois de mesures provisoires. Soit la Chine arrête ce dumping, soit les mesures anti-dumping doivent devenir définitives.

Que préconisez-vous d’autre, au-delà de ces mesures anti-dumping ?

L’Europe des renouvelables doit marcher sur deux jambes. Une jambe politique avec des objectifs ambitieux et contraignants en matière de renouvelables à l’horizon 2030. Et une jambe économique avec d’un côté une politique industrielle qui favorise les partenariats, la recherche et l’innovation, et, d’un autre côté, un environnement économique et juridique stable, avec notamment des politiques de rachat d’électricité concertées et prévisibles.

Tout peut être remis en question dans six mois par les Etats : n’est-ce pas là que le début de l’histoire, le début des pressions ?

C’est évidemment le début d’une lourde bataille puisqu’aujourd’hui une majorité des Etats membres est contre les mesures anti-dumping. L’Allemagne considère que ce n’est pas son intérêt économique ; mais pendant combien de temps vendra-t-elle à la Chine ses machines-outils ? D’autres pays ont dramatiquement besoin des investissements chinois et sont directement menacés. La France doit construire une majorité au conseil autour d’une transition énergétique plus ambitieuse et d’une industrie correspondante. Surtout, le débat sur notre souveraineté énergétique et industrielle doit être posé : peut-on dépendre durablement d’un seul fournisseur pour produire une énergie pourtant disponible infiniment ? Voulons-nous que l’Europe se réduise à une économie de services ?

Le WWF et d’autres ONG étaient opposées à ces taxes sur les panneaux chinois qui, en cas de taxe à 60%, menaceraient jusqu’à 242 000 emplois dans l’UE et nuiraient au décollage du solaire en Europe. Votre réaction ?

Ces estimations ont été largement contestées. Elles ne reposent sur rien de sérieux. Je déplore que certains acteurs écologistes, légitimement inquiets par le contexte économique difficile pour les énergies renouvelables, soient prêts à sacrifier les acteurs industriels européens, même performants, pour obtenir les panneaux les moins chers possible. C’est un pari à très court terme car dès que la Chine aura acquis un quasi-monopole, le gouvernement chinois n’aura plus aucun intérêt à subventionnner son industrie et les prix remonteront.